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Ressources

Le centre de documentation

Le centre de documentation fait partie intégrante du musée. Entre 2012 et 2019, l’acquisition d’ouvrages universitaires dont un certain nombre de thèses sont venues enrichir le fonds. Actuellement, le musée dispose d’environ 3 000 références dont 70 % traitent de la Seconde Guerre mondiale, 10 % de la Grande Guerre et 20 % des autres conflits contemporains.

Tous ces ouvrages sont en lien avec le système intégré de gestion bibliothécaire partagé avec la bibliothèque francophone multimédia de Limoges. Grâce à ce catalogue commun, les lecteurs peuvent avoir accès au fonds du centre de documentation et consulter les ouvrages sur place.

Pour prendre rendez-vous, contactez : Alexandra Moreau
05 55 45 84 42
alexandra.moreau@limoges.fr

 

Partenariats et réseaux

Cette association a été créée le 2 mars 1987 par Georges Guingouin, instituteur et ancien chef FFI de la Haute-Vienne. Elle était soucieuse de veiller à la place de la résistance communiste dans la mémoire locale. De plus, elle avait pour objectif la collecte des objets et de documents en vue de la constitution d’un musée en 1989. Elle a ouvert ses rangs à tous ceux qui n’ont pas connu la guerre mais aussi ceux qui voulaient transmettre la mémoire. Actuellement, cette association est présente sur Facebook avec près de 1000 adhérents.

Aujourd’hui, elle poursuit plusieurs objectifs :

  • Organisation de la cérémonie du 6 juin au clos de Sussac pour Violette Szabo.
  • Co-organisation de la cérémonie de Forêt Haute pour la bataille du Mont Gargan.
  • Participation aux cérémonies sur tout le département.
  • Édition du bulletin trimestriel des AMR Per Lou Grand (Terme occitan signifiant « Pour le grand ». Surnom donné à Georges Guingouin).
  • Édition de livres sur la Résistance.
  • Balade en terre de Résistance l’été par Madame Guingouin.
  • Travail sur les archives de la période.
  • Organisation des états généraux de la mémoire de la Résistance en avril 2022.
  • Travail avec les équipes du musée de la Résistance.
  • Participation aux événements municipaux de la Ville (forum des associations).

Le musée de la Résistance de Limoges appartient au réseau des Musées et Mémoriaux des Conflits Contemporains (MMCC).

Pour fédérer les sites mémoriels, insérer ses propres sites dans l’ensemble de l’offre mémorielle et s’appuyer sur des partenaires pour transmettre au public, et plus particulièrement aux jeunes générations, la mémoire des conflits contemporains, le ministère des Armées, via la direction de la mémoire, de la culture et des archives (DMCA), a créé en 2006 le réseau des musées et mémoriaux des conflits contemporains (RMMCC). 

 

Ce réseau professionnel regroupe plus de 130 musées, mémoriaux et centres d’interprétation relevant de l’État, de collectivités, de structures privées (fondations, associations…) répartis sur l’ensemble du territoire. Cela représente plus de 40% des sites sur le sujet des conflits contemporains en France métropolitaine. 

Il a pour but de favoriser les synergies entre ses membres, de coordonner leurs initiatives et faciliter leur insertion, tant dans le cadre de la politique de mémoire portée par l'État que dans celle menée localement pour promouvoir les équipements touristiques.

Les principaux objectifs sont les suivants :

  • Transmettre la mémoire des conflits contemporains (de 1870 à aujourd’hui).
  • Promouvoir et valoriser les lieux de mémoire.
  • Créer des liens entre les professionnels du tourisme de mémoire.
  • Favoriser le développement de projets communs.

La synergie entre les membres permet aux uns et aux autres d’échanger sur les bonnes pratiques, de faciliter les prêts, d’avoir une visibilité sur le site de la DPMA « Les chemins de la mémoire ». Très rapidement après son ouverture, le musée de la Résistance de Limoges a intégré ce réseau.

Sont membres du réseau les musées, mémoriaux et centres d’interprétation en lien avec les conflits contemporains (1870 à aujourd’hui) qui en font la demande auprès de la DMCA, et qui :

  • Signent la charte d’éthique des lieux de mémoire.
  • Disposent d’un espace d’accueil et/ou d’un espace de médiation physique.
  • Respectent les valeurs propres aux lieux de mémoire telles que définies dans la charte d’éthique.
  • S’impliquent dans les outils de structuration du secteur du tourisme de mémoire (observation du tourisme de mémoire, démarche Qualité Tourisme spécifique aux lieux de mémoire, projets innovants…).
  • Participent à la dynamique du réseau (échanges, communication, participation aux séminaires…).

Le Réseau des musées de la Résistance du Massif Central a été conçu entre 2011 et 2013 par le musée de la Résistance de Limoges. Il s’agissait de fédérer les musées de la résistance du Massif Central à partir d’un instrument collectif à savoir, une base de données. L’objectif était de rendre accessible aux chercheurs les collections de chaque musée. En effet, de par leur histoire commune, les musées de la Résistance ont tous la même typologie de documents. Cette ressource archivistique et iconographique commune permettait d’envisager la création d’une base documentaire en utilisant la numérisation. Un obstacle cependant aurait pu ralentir le processus : la diversité des structures car elles n’avaient ni la même taille, ni le même statut (municipal, départemental, associatif) ni la même gestion des collections. Cette base de données n’avait de sens que si elle était accessible sur un site internet, ce qui fut réalisé. Le portail présentait à la fois l’idée de réseau et de base documentaire. Il n’est plus en ligne mais chaque membre du réseau a pu bénéficier de la numérisation de ses collections. Près de 10 000 vues ont été numérisées.

Les membre du réseau des Musées de la Résistance du Massif-Central

Musée de la Résistance de Peyrat-le-Château

Avenue de la Tour, 87470 Peyrat-le-Château
05 55 69 40 23
https://www.musee-resistance-peyrat.fr

Centre de la Mémoire d’Oradour-sur-Glane

L'Auze  BP 12, 87520 Oradour-sur-Glane
05 55 43 04 30
https://www.oradour.org

Centre d'études et Musée Edmond Michelet

4, rue Champanatier, 19100 Brive-la-Gaillarde
05 55 74 06 08
http://centremichelet.brive.fr

Musée de la Résistance de Tulle

2 Quai Edmond Perrier, 19000 Tulle
05 55 21 73 12

Musée de la Résistance en Morvan et Memorial de Dun-les-Places

Maison du Parc, 58230 Saint-Brisson
03 86 78 72 99
http://www.museeresistancemorvan.fr

Musée départemental de la Résistance Henri Queuille

21, rue du Commerce, 19160 Neuvic
05 55 46 30 60

https://www.correze.fr/nos-missions/culture-patrimoine-sports/les-projets-et-lieux-culturels/le-musee-departemental-de-la-resistance-henri-queuille

Musée de la Résistance du Mont-Mouchet

Le Mont-Mouchet, 43300 Auvers
04 71 74 11 91

https://gorgesallier.wixsite.com/musee-mont-mouchet

Musée de la Résistance du Chambon-sur-Lignon

23 Route du Mazet, 43400 Le Chambon-sur-Lignon
04.71.56.56.65
https://www.memoireduchambon.com

Au mois de décembre 2021, le musée de la résistance de Limoges est devenu membre de la Plateform of European memory and conscience qui est un projet éducatif de l’Union Européenne rassemblant des institutions gouvernementales et des ONG des pays de l’UE actives dans la recherche, la documentation, la sensibilisation et l’éducation sur les crimes des régimes totalitaires.

L’Institut pour l’étude des régimes totalitaires avec le gouvernement de la République Thèque sont à l’origine de l’initiative. En 2008, la Déclaration de Prague sur la conscience européenne et le communisme posait un premier jalon. En juin 2009, le Conseil de l’Union européenne saluait l’initiative. En 2011, sous la présidence polonaise de l’UE, la Plate-forme Mémoire et conscience européenne était créée avec comme devise la démocratie compte. Son objectif est de prévenir l’intolérance, l’extrémisme, les mouvements antidémocratiques et la réapparition de tout régime totalitaire à l’avenir.

Les institutions fondatrices comprenaient des agences gouvernementales de la république tchèque, de la Pologne, de l’Allemagne, de la Hongrie, de la Roumanie, de la Lituanie, de l’Estonie et la Lettonie, ainsi que plusieurs ONG dont le Mémorial de Moscou fermé actuellement par le gouvernement de Vladimir Poutine mais qui a été le partenaire du musée de la résistance de Limoges lors de la conception de l’exposition sur le Goulag en 2021.

Les partenaires stratégiques de l’organisation comprennent le Fonds international de Visegràd et la Fondation Adenauer.

 

Dossiers thématiques

Retrouvez ci-dessous les dossiers thématiques du musée de la résistance de Limoges

La création des tranchées

Le 28 juin 1914, l’assassinat de François- Ferdinand archiduc d’Autriche-Hongrie et de son épouse fut le prélude à la conflagration européenne. Ultimatums et mobilisations générales succédèrent aux déclarations de guerre entre la Serbie et l’Autriche-Hongrie, la Russie. Puis tout s’accéléra et le 1er août la France et l’Allemagne mobilisèrent. Le 2 août les troupes allemandes entrèrent en Belgique, le lendemain l’Allemagne déclara la guerre à la France. Face à la violation de la neutralité belge, à son tour le Royaume-Uni déclara la guerre à l’Allemagne.

Guerre de mouvements d’abord elle devint ensuite une guerre de positions après l’échec de la course à la mer (septembre-octobre 1914) par la construction de tranchées, véritables systèmes défensifs d’où partaient des assauts meurtriers. Pendant de longs mois, par la canicule et par le froid, sous la pluie, sous la neige, pataugeant dans la boue, des centaines de milliers d’hommes cherchaient à se protéger, se chauffer, se distraire et à oublier, quand cela était possible, tout simplement à survivre, par tous les moyens. Un de ces moyens, était l’artisanat de tranchée.

Artisanat de tranchée ou Art des tranchées ? Le terme d’artisanat, plus proche de bien des travaux exécutés par les poilus, a longtemps prévalu. L’Allemagne a adopté l’expression « Schutzgraben Handwerk » qui correspond à artisanat tandis que les Anglo-saxons parlent de « Trench Art », l’Art de tranchée. L’historien britannique Nicholas J. Sauders le définit comme n’importe quel objet fabriqué par quiconque à partir de quelque matériau que ce soit, tant que cet objet reste lié au conflit armé ou à ses conséquences dans le temps comme dans l’espace.

L’artisanat de tranchée : une production multiforme

 Sur le front, un véritable brassage social s’opéra et ces soldats dont la plupart était d’origine rurale côtoyèrent des employés de tous les métiers mais aussi des artistes ou des professionnels non réquisitionnés dans les usines d’armement. C’est ainsi que l’on retrouve bien des influences - régionales, professionnelles ou culturelles - dans cet art spécifique. De là une étonnante variété d’objets fut produite par ces combattants, selon leurs aptitudes personnelles : les cultivateurs habitués à tout faire dans leur ferme savaient travailler bois, cuir ou métal ; des orfèvres, des dinandiers, des graveurs utilisèrent l’aluminium des fusées allemandes pour remplacer l’or habituellement employé ; peintres et aquarellistes laissèrent des témoignages en images du déroulement de la guerre et de la vie à l’avant. Quant à ceux qui n’avaient jamais travaillé de leurs mains, ils apprirent par émulation grâce à la camaraderie. Mais surtout, ces objets étaient des représentations matérielles de la mémoire, de la spiritualité, de l’émotion de ces hommes. En retrouvant les gestes de leur métier, ils gardaient leur humanité.

L’atelier du poilu

Suivant l’endroit où ils pouvaient « bricoler », les soldats utilisaient un matériel plus ou moins encombrant ou pesant. En dehors des ateliers de réparation d’armement, bien équipés, le poilu se contentait de mettre dans sa musette quelques petits outils du commerce : pinces, limes, vrilles. Il fabriquait parfois lui-même l’outillage qui lui manquait : étau, marteau, poinçon. Comme équipement de base, chacun possédait un couteau de poche à plusieurs lames et le matériel d’entretien fourni par l’armée était détourné de son usage normal : cousette en bois ou trousse de nettoyage pour fusil.

La « matière première » récupérée sur le terrain était abondante : laiton des douilles de tous calibres, fusée d’obus diverses, ceintures d’obus en cuivre, éclats d’obus de toutes tailles. La fusée Dopp allemande en aluminium, particulièrement appréciée des artisans des tranchées fut à l’origine de bien des objets (bijoux, bagues, ronds de serviette, tabatières…) réalisés dans ce métal à la température de fusion assez basse. Des éléments d’origine industrielle, utilisés en guise de décoration, (boutons d’uniformes, médaillons estampés) pouvaient être incorporés à cette production.

Par martelage, chauffage, soudure, gravure, les matériaux se transformaient d’abord en ébauches puis en produits finis comme dans de véritables ateliers, avec parfois d’étonnantes métamorphoses : une poignée de porte trouvée dans une maison démolie devint un briquet de table, une burette à huile un briquet de poche, une douille donnait un vase parfaitement ciselé.

Quand l’art des tranchées sort des tranchées

Ce n’était pas dans les tranchées de première ligne dont le rôle était de prévenir les assauts mais bien dans les tranchées de seconde et troisième position que le soldat pouvait oublier un temps la guerre en fabriquant des objets. C’était à ce niveau-là, dans les zones de repos, dans des ateliers improvisés ou ceux de réparation d’armement bien équipés comme ceux des artilleurs que se situait l’activité principale. C’était pour ces hommes un moment de vie dans un océan de mort et d’angoisse. Mais les soldats n’étaient pas les seuls à produire. On ignore souvent que même les blessés en rééducation produisaient des souvenirs personnels parfois revendus par des œuvres de charité et Limoges avec environ deux douzaines d’hôpitaux n’échappa pas à la règle. Sans oublier, les prisonniers qui dans les camps cherchaient à tuer le temps, à améliorer leur confort quotidien et à fabriquer quelques souvenirs de leur captivité.

D’abord un artisanat utilitaire 

Dès que le front se stabilisa l’armement du soldat se révéla inadapté à la guerre de position, aussi, les hommes improvisèrent-ils des armes de fortune comme des grenades artisanales ou des poignards. Lors des périodes de tranquillité certes relative, ils devaient aussi se chauffer, s’éclairer. Ce fut ainsi que le poilu inventa une forme de briquet à mèche ou à amadou fait dans une petite douille pour remplacer les allumettes trempées par l’humidité des campements. Afin de maintenir le moral, le vin dont l’argot du poilu le remplaça par le mot « pinard » était très recherché : il fallait le protéger et  le conserver. Élément important dans la vie du soldat, le tabac nécessitait de nombreux accessoires comme une tabatière bien étanche. Et les divertissements étaient bienvenus après les longues marches où la canne soulageait le combattant exténué : on chantait en s’accompagnant d’instruments de musique improvisés.

Un artisanat qui évolua vers la fantaisie  

Au fil des mois et des saisons, le temps s’allongeait et les hommes occupaient leurs doigts et leur esprit. Ceux qui partaient en permission voulaient apporter des souvenirs à leurs familles : la technique se perfectionna et la décoration se chargea de fantaisie dont les  objets de bureau ou de fumeur en sont de parfaits témoignages. Pour la mère, l’épouse ou la fiancée des bijoux gravés, des broches et des bagues ; pour les enfants des ronds de serviette et des jouets, souvent guerriers. Les artistes pratiquaient le dessin, la peinture, la sculpture ou la photographie suivant les possibilités. Ainsi se créa un marché particulier où ces souvenirs, sur lesquels un nom pouvait être ciselé, allaient se vendre quelques francs ou s’échanger contre un paquet de cigarettes ou un litre de vin.     

Décor et symbolique dans l’art des tranchées

Les soldats puisaient leur inspiration dans l’art populaire de leur région et reprenaient certains emblèmes tels que le triskell breton, ou bien la croix de Savoie. Le décor et la symbolique évoluèrent progressivement. D’abord ce fut grâce à la présence d’artistes professionnels sur le front que l’Art nouveau pénétra et influença graveurs de douilles et fabricants de bijoux qui adoptèrent les lignes courbes et végétales si caractéristiques. Ensuite les revues et journaux « légers », comme La vie parisienne très appréciés des poilus, prenaient certains dessins pour modèles. Enfin, chaque nation possédait ses propres symboles reproduits sous des formes variées : croix de guerre chez les Français, croix de fer chez les Allemands, Union Jack pour les Anglais ou portrait du roi Albert I pour les Belges. Parallèlement, l’évolution de l’armement se traduisit par l’apparition de nouveaux objets,  comme le tank très vite représenté sous forme de tirelire ou de presse-papier. Cela permet aussi de dater certains souvenirs retrouvés aujourd’hui.

La représentation de la guerre 

La vie quotidienne du soldat constituait un des thèmes favoris de ces artisans, avec ses bons et ses mauvais moments : la distribution de pinard, l’arrivée de la lettre tant attendue, l’angoisse avant l’attaque. La mort était peu représentée même si les combattants y pensaient toujours et l’exprimaient sous forme allégorique avec l’image d’un papillon symbole de l’âme qui quitte le corps. La fierté d’avoir participé à une grande bataille et d’y avoir survécu se traduisait par de nombreuses inscriptions sur des vases, des cadres ou des cannes. C’est ainsi que Verdun, la Marne, les Dardanelles, l’Yser ou encore la Somme, figurent sur des centaines d’objets. Le 11 novembre fut le cri de victoire qui se répéta longtemps sur les souvenirs réalisés après 1918.

Le patriotisme  

Tous les symboles du patriotisme français se retrouvent sur les objets réalisés par les combattants : le coq gaulois, le drapeau déployé, l’Alsace, la Lorraine, la cathédrale de Strasbourg, Jeanne d’Arc, la Marseillaise du sculpteur Rude. Napoléon lui-même fut représenté. A l’inverse, le Kaiser et le Kronprinz, étaient souvent caricaturés sous la forme de l’ennemi au casque à pointe, barbare et inculte. Les généraux Foch, Joffre, Pétain, Gallieni furent glorifiés et les représentations nombreuses. Quant au canon de 75 dont les qualités techniques étaient connues de tous les combattants, il devint une légende et fut reproduit très souvent.

Le porte-bonheur du poilu  

Face à la mort omniprésente, jamais autant d’amulettes protectrices ne furent tant portées, celles expédiées par les civils aux combattants et celles inventées par les soldats eux-mêmes. Certaines pratiques relevaient de la superstition enracinée dans la société rurale avec des médailles de saints locaux ou des prières salvatrices cousues dans l’ourlet de l’uniforme. En même temps, les combattants mettaient à l’honneur le trèfle à quatre feuilles, le gui, le muguet, la fleur de pensée, le myosotis qui signifiait ne m’oubliez pas ; le fer à cheval, la pièce percée, le chiffre treize. Le poilu choisit le pou qui prit le nom de « toto » comme porte-bonheur car, tant que le pou restait sur un corps humain, c’est qu’il était vivant ! Dans les régiments coloniaux, main de fatma et croissant étaient fabriqués pour porter chance.

Le sacré                 

Les premiers mois de la guerre, s’accompagnèrent d’un réveil religieux.  La société redécouvrait la foi car la mort risquait de toucher chacun. Même si ce phénomène décrut à partir de 1916, le dimanche, dans les cantonnements à l’arrière du front, les églises étaient pleines. La religion restait un réconfort et nombreux étaient ceux qui recherchaient une certaine forme de protection ou de refuge spirituel. Beaucoup de poilus portaient sur eux des médailles sacrées, en particulier celle de la Vierge Marie, la mère du Christ ou celle de Thérèse de Lisieux. D’autres formes de piété existaient dans les tranchées comme la dévotion au Sacré-Cœur.  Quoiqu’il en soit, la religion restait un réconfort et les combattants eux-mêmes fabriquaient des objets de culte pour leurs aumôniers ou bâtissaient des chapelles de fortune près du front.

La représentation de la femme : du romantisme à l’érotisme 

Privés de présence féminine durant des mois, les soldats gravaient sur les douilles ou sur leurs briquets des images rêvées et idéalisées dont l’archétype était la Madelon illustrée par la chanson reprise en chœur par tous les soldats. Cette femme pouvait aussi être aussi représentée avec un bonnet phrygien, symbole de la  République, ou encore sous la forme d’une grisette courte vêtue ou même de la « petite femme de Paris » des revues illustrées. Parfois chargée d’érotisme, cette image pouvait aller jusqu’à la pornographie parmi ces hommes qui vivaient une existence de reclus bien loin de leurs compagnes. Pour d’autres, blessés et hospitalisés, le sourire d’une infirmière était la vision idéalisée de la femme à la fois proche et protectrice.

L’art des tranchées dans les armées étrangères 

Cet art fut pratiqué par les soldats dans toutes les armées à plus ou moins grande échelle. Les Belges, fixés sur l’Yser, y créèrent de véritables ateliers permanents, honorant le roi Albert et la reine Élisabeth. La production des Anglais (avec l’Union Jack, les insignes de régiments) et des Italiens reflétait leurs traditions. Les Américains, bien que prenant part au conflit en 1917 seulement, produisirent beaucoup : l’aigle et la bannière étoilée figurèrent en bonne place. Quant aux Allemands qui n’avaient pas le droit de récupérer le métal pour leur usage personnel, ils se spécialisèrent dans la sculpture de la craie et du bois, gravant la croix de fer ou le portrait du Kaiser sur leurs souvenirs.

Commercialisation et œuvre de mémoire

Alors qu’à la fin du XXe siècle, ces objets avaient perdu leur charge émotionnelle au point d’être bien souvent relégués dans des greniers ou vendus dans les brocantes, la redécouverte de la Grande guerre à l’orée du XXIe siècle leur redonne sens. Pour l’historien, il convient de distinguer les objets fabriqués par les soldats entre 1914 et 1919 et les objets manufacturés par les civils entre 1914 et 1939.  Ces objets traversent l’espace social et temporel sans avoir forcément la même signification, mais dans les deux cas – objets fabriqués ou objets manufacturés – ils sont le lien par-delà les années, entre la famille et la guerre (le souvenir) ou bien la famille et son défunt (la mort). Dès 1915 cette forme d’art fut connue et reconnue par la population à l’arrière et mise à l’honneur dans de nombreuses expositions. Ainsi, le 20 octobre 1915 le journal « Le pays de France » organisait au Jeu de Paume à Paris une exposition-vente inaugurée par le sous-secrétaire aux Beaux-Arts. L’évènement se doublait d’un concours supervisé par le gouverneur des Invalides assisté du conservateur du musée du Luxembourg. Le succès fut tel que l’évènement fut prolongé jusqu’en janvier 1916. Mais progressivement l’intérêt retomba, même si à Noël 1917, les objets faits par les soldats se vendaient à Paris sur les boulevards. Au même moment, la reproduction, la fabrication en nombre et la commercialisation prenaient le relais. Dès la fin du conflit, certaines régions furent plus touchées par ce phénomène commercial en particuliers toutes les zones de combats où de véritables pèlerinages virent le jour : les objets fabriqués devenaient des souvenirs qui étaient rapportés.

Des fabrications industrielles 

La fabrication en série répondait à une demande commerciale tant de la part des particuliers que des associations qui vendaient ces objets au profit des victimes de la guerre. Par exemple, la bijouterie « la Gerbe d’or » à Paris vendait dans ses magasins ou par correspondance de parfaites imitations à travers tout le pays. Actuellement, de nombreux « briquets de poilus » sont en réalité des modèles industriels patriotiques vendus pendant la guerre, et même jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, par des buralistes dont les stocks étaient très importants. Quant aux douilles, elles ont été gravées et ciselées pendant des années. La matière première était si abondante que le laiton servit à de multiples transformations comme des lampes à pétrole fabriquées par centaines et portant le nom d’une marque déposée.

Le tourisme de guerre  

Dès 1919, le travail de deuil s’inscrit au cœur de la société et c’est dans ce cadre-là que les familles, les veuves de guerre ou encore les épouses et enfants des poilus voulurent visiter les endroits où tant d’hommes avaient souffert. Les anciens combattants manifestant les mêmes désirs, des compagnies de voyage lancèrent des « Tours des champs de batailles » tandis que les éditeurs se mirent à publier des dizaines de guides régionaux spécialisés. Les plus connus, les « Guides Michelin », proposaient des itinéraires précis pour chaque portion du front, y compris en langue anglaise. En effet, dès 1916, André Michelin lançait le projet des Guides des champs de bataille et s’appuya pour cela sur la section cinématographique des Armées. Il voulait ainsi non seulement rendre hommage à la mémoire des soldats morts mais aussi il entendait montrer au public les destructions allemandes en territoires français. Par ailleurs, il existait bien d’autres guides, associés à des compagnies de voyage qui permettaient de visiter ces lieux de mémoire qui étaient à la croisée de la mémoire individuelle et privée et de la mémoire collective et nationale.

L’ordre de la Libération

Trois semaines après la création du Conseil de Défense de l’Empire le 27 octobre 1940 et alors qu’il signe la Déclaration organique démontrant l’illégalité du gouvernement de Vichy, le général de Gaulle, fonde l’Ordre de la Libération le 16 novembre 1940 à Brazzaville devenue la capitale de la France Libre. Cette décision fait suite à un contexte particulier et à une situation d’exception. Le général ne veut ni ne peut décerner la légion d’honneur ou la croix de guerre. Or bien des hommes valeureux le suivent dans sa reconquête et de fait, à la fin du mois d’août 1940, la quasi-totalité de l’Afrique Equatoriale s’est ralliée. Face à l’échec devant Dakar il déclare au capitaine de frégate Thierry d’Argenlieu au mois d’octobre 1940 qu’il est … décidé à créer un insigne nouveau face à l’imprévisible conjoncture …  Comme l’écrit l’historien Jean-Louis Crémieux-Brilhac, en créant l’Ordre, le général de Gaulle poursuit l’affirmation de ses prérogatives régaliennes.

L’Ordre de la Libération est créé à Brazzaville par l’ordonnance n° 7 datée du 16 novembre 1940. Ses membres, que l’on envisageait d’appeler Croisés de la Libération, portent finalement, sur proposition de René Cassin, le nom de compagnon de la Libération. Ce mot apparu dans le langage populaire au 11e siècle qui signifie « qui mange son pain avec » symbolise l’unité et la cohésion du groupe dans l’adversité. C’est un Ordre particulier, rappelant par maints égards les anciens Ordres de chevalerie, avec pour unique Grand maître, son fondateur et dans le cas présent le général de Gaulle. Il est destiné à récompenser les personnes ou les collectivités militaires et civiles qui se seront signalées dans l’œuvre de Libération de la France et de son Empire. (Article 1er).

La médaille

Deux projets sont proposés au général de Gaulle et c’est celui de la croix de la Libération dessiné par le capitaine Tony Mella, officier des Forces françaises libres qui est retenu. La succursale londonienne de Cartier se charge de la réaliser. C’est un insigne sobre voire austère. A l’avers un glaive surchargé   d’une croix de Lorraine et au revers la devise latine : Patriam servando  victoriam tulit soit  En servant la patrie, il a apporté la victoire. Le ruban a deux couleurs. Le noir symbolise le deuil, le vert, l’espérance. Afin que cet insigne conserve toute sa valeur, -148 attribués en 1941 et 72 en 1942 - le général de Gaulle crée la médaille de la Résistance en février 1943 afin de récompenser un plus grand nombre rendant ainsi exceptionnelle la remise de la croix de la Libération.

Le conseil de l’Ordre de la Libération 

Le conseil de l’Ordre de la Libération réuni à Londres le 26 octobre 1944. Il étudie les propositions le plus souvent établies par le chef de corps ou par les chefs de mouvements qui sont ensuite soumises à la signature du général de Gaulle.

Le fonctionnement de l’Ordre  

René Cassin est chargé par le général de Gaulle de rédiger les statuts de l’Ordre. Son fonctionnement est régi par le décret du 29 janvier 1941 à Londres. Il institue un Conseil de l’Ordre présidé par le Chef des Français Libres, de cinq membres, dont l’un remplit les fonctions de Chancelier. Le 29 janvier 1941 les cinq premiers Compagnons sont nommés et deviennent les premiers membres du Conseil. Ce premier choix révèle la volonté de l’Ordre de représenter les diverses composantes de la France Libre sans distinction d’origine ni de classe. Avec le temps des critères stricts sont mis en œuvre prenant en compte l’engagement précoce, la prise de risque ou des actions dangereuses et répétées. D’ailleurs plus d’un quart des compagnons est nommé à titre posthume. Considérée comme récompense militaire parmi d’autre, la croix de la Libération acquiert au fil des années de guerre un prestige inégalé du fait de sa rareté. Seuls 1038 personnes la reçoivent ainsi que 18 unités militaires des Forces françaises libres et 5 communes. Environ les trois quarts d’entre eux sont des Français libres, seul un quart représente des résistants de l’intérieur. L’ordre compte 52 étrangers, 23 nationalités différentes, 6 femmes, 15 Africains dont 10 tirailleurs.

La médaille de la Résistance lui est rattachée. Au départ du général de Gaulle, l’ordre est forclos le 23 janvier 1946. Mais en 1999, afin de transmettre la mémoire, la loi créant le Conseil national des communs Compagnons de la Libération est adoptée ; elle est entrée en vigueur en 2012.

D’où viennent les Compagnons ? 

D’une façon générale, en France, l’engagement volontaire est globalement étranger au monde rural et paysan et demeure un fait urbain. Mais partir n’est pas une mince affaire,  la volonté ne suffit pas et les conditions matérielles comptent tout autant. Ce sont les frontières extérieures qui offrent le plus de possibilité pour prendre le large. En Europe, si la France fournit le plus gros contingent des compagnons, l’Angleterre puis l’Allemagne sont les deux principaux viviers.  Dans le monde, l’Afrique du Nord et l’Afrique centrale sont aussi le berceau de ces hommes qui ont choisi le camp des Forces françaises libres.

Les compagnons de la Libération nés en France par départements et territoires d’Outre-mer  

Près de 84 % des futurs compagnons sont nés en France et sont le plus souvent originaires de la France des frontières terrestres et maritimes où la tradition de l’engagement reste fort contrairement à la France du centre ou du Massif central. A elle seule la région parisienne représente près de 21 % des compagnons métropolitains.

Lieu de présence en Europe des futurs compagnons de la Libération au 18 juin 1940 

Le 18 juin 1940 au moment où le destin bascule environ 60 % de ces hommes étaient encore en Europe, 40 % d’entre eux ne connaissent pas la défaite et sont répartis sur les autres continents.  

Lieu de présence dans le monde des futurs compagnons de la Libération au 18 juin 1940 

17 % de ceux qui choisissent le camp gaulliste sont nés hors métropole dont 4 % dans l’empire français   Parmi eux, nombreux sont ceux qui sont étrangers. 52 étrangers représentant 22 nationalités différentes sont nommés par la suite compagnon.

Qui sont les compagnons ? *

En servant la patrie, il a remporté la Victoire

Les Compagnons, hommes de rupture et fervents patriotes, ont en commun un refus spontané de la défaite : 91.5 % d’entre eux se sont engagés avant 1942 et 75 % sont des résistants de la première heure au lendemain de la défaite à l’été 1940. En se rangeant au côté du général de Gaulle, ils embrassent la dissidence sans possibilité de retour. Jean Simon écrivait Nous faisions notre devoir, voilà tout…celui que nous avions choisi librement, un certain jour de juin 1940…Nous avions passé un contrat non seulement avec le général de Gaulle et la France libre mais avec nous même, et la mort faisait partie du contrat. Dans ce contexte, il y a une surreprésentation des militaires de carrière et de diplômés. Parmi ceux qui ont fait des études supérieures, les études militaires dominent largement avec les saint-cyriens, viennent ensuite les études d’ingénieurs et enfin les études universitaires .Dans son étude*, Anne Dureau  estimait que le compagnon était issu des milieux aisés de la bourgeoisie : il a été élevé dans un esprit de traditions militaires et patriotiques (nombreux sont ceux qui ont un père officier), il est jeune, étudiant ou cadre, mais le plus souvent, jeune officier récemment sorti d’une grande école militaire. Il est célibataire.

*Mémoire de maîtrise (Université Paris X Nanterre), 1972

Beaucoup de militaires                       

Le Compagnon est un homme de l’armée de Terre :  64% en est issus alors que les Forces navales française libre  ne représentent que 8 %  et les Forces aériennes 19 %. 

Une majorité de diplômés                 

48% sont des diplômés alors qu’en 1939 seule 6 % d’une classe d’âge atteignait le niveau du baccalauréat. Parmi les études supérieures suivies avant la guerre par les Compagnons les études militaires représentent 28.3% dont 22 % de saint cyriens, 17% ont fait des études d’ingénieurs et 16% des études universitaires.

Une prépondérance des membres des Forces françaises libres     

Les Forces françaises libres rassemblent à elles seules 72 % des Compagnons contrairement à la résistance intérieure n’en comprend que 15 %.  Cette disproportion s’explique en partie par la forclusion de l’Ordre rapidement intervenue ne laissant pas assez de temps aux chefs de réseaux ou de mouvements de transmettre les dossiers.

Le Général Valin (1898-1980)

Né à Limoges, fils d’un négociant, Martial Valin choisit la carrière des armes et entre à Saint Cyr en mai 1917. Devenu capitaine, il se spécialise dans l’aviation de bombardement et le vol de nuit. Ses études de tactiques aériennes font de lui un spécialiste. De la mission militaire française à Rio de Janeiro où il séjourne lorsque que la guerre éclate, il se rallie au général de Gaulle le 9 novembre 1940. Arrivé en Grande-Bretagne en avril 1941, il apprend sa condamnation à mort par le régime de Vichy. La nomination du colonel Valin à la tête des FAFL (Forces Aériennes Françaises Libres) est un tournant dans l’histoire de l’arme. Les recrues des FAFL sont jeunes, près de 90 % d’entre eux ont moins de 30 ans pour une moyenne d’âge de vingt-trois ans et bon nombre sont encore à l’instruction. …La situation est catastrophique …il faut un an avant d’avoir quelque chose de bon …Immédiatement il organise des groupes de chasse, de bombardement, de surveillance et de lutte anti-sous-marine et met en place une aviation de transport. Par ailleurs, il crée les unités parachutistes qui s’illustrent sur de nombreux fronts. Le 27 juin 1943, les FAFL comptent 3684 hommes et femmes. Surnommés les sans culotte de l’air par Valin, ils ont été les seuls aviateurs français à servir aux côtés des Alliés avant la fusion avec l’aviation d’Alger. À cette date leur perte est considérable : 40 % des effectifs du personnel naviguant FAFL. Devenu général de division aérienne au mois de mars 1944, il est désigné le 3 novembre 1944 chef d’Etat-major général.

Le fondateur des forces aériennes de la France libre

En accord avec le général de Gaulle, Valin crée des unités aériennes ayant toutes des noms de provinces ou de ville françaises. Le Groupe de chasse Alsace est créé au début du mois de septembre 1941. Héritier de l’Escadrille française de chasse n° 1, ses pilotes sont parmi les premiers volontaires de la France Libre. Après avoir combattu sous les cieux africains et dans le désert, le groupe est envoyé à partir de septembre 1942 en Angleterre pour servir sur le front occidental. À la fin de la guerre, le groupe a perdu 21 de ses pilotes soit l’équivalent de son effectif opérationnel. Il reçoit la croix de la Libération le 28 mai 1945 et de ses rangs sont issus 23 compagnons de la Libération.

Groupe de bombardement Lorraine

Ce Groupe est créé le 21 septembre 1941 à Damas en Syrie à partir du Groupe réservé de Bombardement n° 1 du Tchad qui a déjà combattu au Gabon, à Koufra et au Tchad. Il sert très souvent en mission d’appui à l’armée britannique et subit de lourdes pertes. En 16 jours, au mois de janvier 1942, le Groupe effectue 300 sorties : un tiers de l’effectif navigant est soit blessé soit disparu. Au mois d’octobre 1942, il rejoint à son tour l’Angleterre pour servir sur le front européen où il est engagé dans des missions de bombardement de jour et de nuit. Le 28 mai 1945, le groupement reçoit la croix de l’ordre de la Libération. Il a effectué 3000 sorties mais perdu 127 membres, soit plus du double de son effectif normal.

Le groupe de chasse Île de France 

Premier groupe intégré au sein de la Royal Air Force, sous le nom de Squadron 340, le groupe de chasse devient à partir de novembre 1941 le groupe de chasse Île de France. Il comprend deux escadrilles : Versailles et Paris. En juin 1944, il assure la couverture des plages et des têtes de pont britanniques en Normandie. Par la suite, ils escortent les bombardiers engagés au-dessus de l’Allemagne. Le groupe a effectué 7 845 sorties et perdus 38 pilotes tués, blessés ou disparus. Il est fait compagnon de la Libération le 28 mai 1945.

Le groupe de bombardement Bretagne 

Héritier du détachement permanent des forces aériennes du Tchad créé en août 1940, il devient le groupe de bombardement Bretagne à partir du 1er janvier 1942 à Fort Lamy. La formation soutient l’action de Leclerc dans le Fezzan, puis en Tripolitaine. Après des missions en Italie, le groupe est engagé dans la préparation du débarquement en Provence puis sur le front de l’Atlantique avant de poursuivre son action sur le territoire allemand.  Il a effectué 4 500 sorties et perdu 5 hommes et 3 prisonniers.

Le régiment de chasse Normandie-Niemen 

Le général de Gaulle très attentif à ce que la France Libre soit présente sur tous les théâtres d’opérations autorise le général Valin à constituer le groupe de chasse n°3 Normandie sur la base de Rayack au Levant avec pour objectif l’envoi de pilotes confirmés et motivés auprès des Soviétiques en 1943.

Les Français arrivent au début du mois de décembre 1942 à Ivanovo à l’est de Moscou et prennent rapidement en main les chasseurs Yaks. A l’été 1944, au sein de la 303e division de chasse de l’Armée Rouge, les pilotes français se battent jusqu’au Niemen. Après la signature du traité franco-soviétique en décembre 1944, le régiment prend le nom de Normandie- Neimen sur l’ordre de Staline. Cette unité est la seule formation militaire occidentale déployée du côté soviétique. Elle est décorée de la croix de la Libération dès 1943.

Les parachutistes de la France Libre

À la demande du général de Gaulle, le général Valin organise les unités de parachutistes qui s’illustrent tant en Crète qu’en Lybie ou en Tunisie. En 1943 le commandant Bourgoin – l’homme aux 37 blessures- est nommé à la tête du 1er Bataillon d’infanterie de l’air qui prend part aux opérations du 6 juin 1944 sous la dénomination du 2e régiment de chasseurs parachutistes.

Après la libération de Paris, Martial Valin devient secrétaire général à l'Air et assure le démarrage du ministère de l'Air jusqu'au retour d'Alger du ministre communiste Charles Tillon (1897-1993).Le 3 novembre 1944, le général Valin est désigné comme chef d'Etat-major général. Il occupe ensuite le poste de commandant de la 2ème Région aérienne. Le 25 janvier 1945, il est promu au grade de général de corps aérien. Un an après, en mars 1946, il devient chef de la Délégation militaire française au Comité d'Etat-major des Nations-Unies où il reste affecté jusqu'en février 1947. Il est nommé inspecteur général de l'Armée de l'Air puis promu général d'armée aérienne en 1950. Il demeure à l'inspection générale jusqu'en 1957.

Par décret du 3 juin 1954, modifié par celui du 4 août 1954, le général Valin est maintenu sans limite d'âge dans la 1ère section du cadre de l'Etat-major général, ayant commandé en chef devant l'ennemi. Par ailleurs, il est membre permanent du Conseil supérieur de l'Air de 1946 à 1968 et membre du Conseil supérieur des Forces armées en 1955, 1957 et 1959. Martial Valin totalise plus de 5 000 heures de vol dont 1 000 de nuit.

Très attaché à sa région natale, il était très souvent présent à la Base aérienne de Romanet pour participer aux rencontres ou aux hommages militaires.

Malgré la surveillance, malgré le rationnement de l’encre et du papier, les imprimeurs prirent tous les risques pour diffuser des informations et agir en hommes libres. Raymont Aubrac résumait bien l’action de ces hommes et femmes lorsqu’il écrivit …pour la Résistance, les journaux clandestins étaient une arme offensive. Les faux papiers étaient une arme défensive. Les premiers s’adressaient au public pour informer et pour convaincre. Les seconds s’adressaient à la police pour la tromper et se protéger. Les militants actifs n’étaient pas les seuls à avoir besoin d’une cuirasse (en carton et en papier) C’était aussi le cas de ceux que pourchassaient les polices de l’époque : étrangers réfugiés, juifs, tsiganes, francs-maçons, prisonniers évadés, les jeunes réfractaires au STO. La demande était considérable…Quoiqu’il en soit, la presse illégale, les tracts, les livres et les poèmes interdits, tout cela   entretenait l’espoir d’un prochain retour de la liberté. Ces impressions clandestines n’étaient que le murmure d’une colère sourde qui montait au fil du temps.

Disparaitre pour renaitre, renaitre pour vivre

Les faux papiers devaient non seulement donner une autre identité au détenteur mais bien souvent protéger la famille. La simple carte d’identité n’était qu’un chainon de la vie du clandestin car elle devait s’accompagner des cartes de rationnement à son nom. C’est dire la complexité de la fabrication de ces supports avec tous les faux tampons nécessaires et tous les faux papiers administratifs pour survivre.

L’intelligence en guerre

 François Mauriac de l’Académie Française disait que c’était presque toujours les écrivains que l’on félicite pour leur courage qu’ils ont monté en collaborant à la presse et aux éditions clandestines. En vérité le risque était minime. Tout le péril était pour les imprimeurs, patrons et ouvriers qui pouvaient à chaque instant être trahis…et pris sur le fait…Je pense avec émotion aux mains qui ont rassemblé les caractères, à celles des brocheuses bénévoles … Les imprimeurs, patrons et ouvriers, ont cette gloire qu’en eux la France s’incarne tout entière : la France du travail et celle de la pensée.

Durant la guerre les Français lurent beaucoup. Lire pour oublier, lire pour exister. La vie spirituelle était dans la création, dans la création il y avait la résistance intellectuelle et dans cette résistance intellectuelle il y avait l’intelligence en guerre qui se dressait contre la barbarie.

Les six commandements du libraire

I – Quand des livres tu recevras, avec soin les reconnaîtras.

II- Ceux des traites tu garderas en lieu où nul ne les verra.

III- Pareillement tu traiteras ce qui vient des Propagandas.

IV – Et chez toi tu n’exposeras rien qui soit d’esprit Trafapa.

V – Et tant que tu résisteras l’Honneur au moins te restera.

VI- l’esprit français[tu] honoreras et lui seul toujours [tu] serviras.

Informer convaincre agir

Passés l’armistice et la défaite, des Français, seuls ou en très petits comités refusèrent la situation et cherchèrent à « faire quelque chose. » Ils se tournèrent vers l’éveil des consciences avec les moyens dérisoires dont ils disposaient : une machine à écrire familiale voire une imprimerie pour enfant. L’ingéniosité des années 1940-1942 fut progressivement remplacée par une véritable organisation et cela au fur et à mesure que les mouvements se structuraient. L’impression des documents passaient par des imprimeurs professionnels qui mettaient leur matériel à la disposition de la résistance.

Ordonnance du 18 décembre 1942 « …quiconque aura confectionné ou distribué des tracts sans y être autorisé, sera puni de la peine de travaux forcés ou celle de l’emprisonnement et dans les cas particulièrement graves, de la peine de mort…

Entre 1940 et 1944 il fut impossible à un esprit libre de s’exprimer et d’écrire. La censure et la propagande s’installèrent en zone non occupée comme en zone occupée. D’ailleurs c’est dans cette zone que dès la fin août 1940, en 3 jours à partir de la liste Bernhard préparée à Berlin, 700 000 ouvrages furent saisis pour être passés au pilon. Au mois d’octobre une première liste « Otto* » concernait 140 éditeurs et 1060 titres et en 1941 une interdiction visa toute édition ou réédition d’ouvrages anglais ou américains apparus après 1870. La troisième liste Otto mit à l’index entre 6 000 et 8000 titres qui ne devaient plus être vendus chez les libraires. Outre la censure, imprimeurs et libraires subissaient de plein fouet la pénurie de papier dont la distribution était gérée par le Comité d’organisation installé à Vichy et contrôlé par les Allemands. Si en 1938 la presse put utiliser 315 000 tonnes de matières premières, en 1943 elle n’eut à sa disposition que 65 000 tonnes soit cinq fois moins. Malgré la pénurie et la censure, les livres, les journaux et les tracts circulaient. La résistance envoya aux libraires les commandements du libraire parmi lesquels on pouvait lire…Et toi tu n’exposeras rien qui soit d’esprit Trafapa**… De leur côté, les imprimeurs avaient recours au marché noir pour trouver le papier et l’encre destinés aux parutions clandestines.

*Otto Abetz (1903-1958) ambassadeur de l’Allemagne en France

**contraction de la devise du régime de Vichy Travail Famille Patrie

Avec la guerre, la défaite et l’occupation, les Français vivent au rythme de la pénurie. Manger, s’habiller, se déplacer, se chauffer, tous les actes de la vie deviennent une lutte pour la survie. La situation alimentaire est plus difficile dans les villes que dans les campagnes. Le quotidien de la population est régenté par des cartes et des tickets : le rationnement est omniprésent. En même temps se met en place une administration tatillonne qui divise, classifie, catégorise tant les Français que les biens de consommation dont ils ont besoin. Le marché noir s’inscrit dans cette société en souffrance et tout un monde souterrain et parallèle voit le jour. Cette exposition présente un aperçu de ce  qui fut une France rationnée.

Le marché noir

Alors qu’un début d’économie parallèle s’est mis en place durant la « drôle de guerre » pour répondre aux perturbations économiques engendrées par la déclaration de guerre et la mobilisation, le marché noir* prend une réelle ampleur à la fin de l’année 1940 au point d’inquiéter sérieusement les autorités.  Quoi de plus différents que ces petits trafics destinés à améliorer la vie quotidienne avec l’organisation souterraine de réseaux commerciaux ? Et pourtant, ils ont tous en commun d’être au cœur des préoccupations de la population, canalisant toutes les frustrations. En 1941, la lutte contre le marché noir devient l’une des principales préoccupations du régime de Vichy. Plus d’un million de procès-verbaux sont établis entre 1940 et 1944. En 1943 un juriste** écrit que « la France [est] en état de contentieux ». Ces exemples chiffrés montrent l’étendue et la profondeur du phénomène au sein de la société qui doit s’adapter à la rareté des biens pour vivre et survivre au fil des jours.

*l’expression marché noir s’impose et se généralise à partir de l’automne 1940.

**Anatole de Monzie (1876-1947).

Le ravitaillement

Malgré la loi sur « l’organisation générale de la Nation en temps de guerre » de juillet 1938, le gouvernement Daladier refuse de mettre en place un système de ravitaillement et de rationnement généralisé au prétexte que cela atteindrait le moral de la population. Pourtant avec l’entrée en guerre en septembre 1939 un service du Ravitaillement général est créé. Après la défaite et l’armistice, les troupes allemandes occupent une grande partie du territoire et pillent sans vergogne les matières premières industrielles et agricoles, créant un véritable chaos alimentaire et bien des régions sont touchées par de graves pénuries.  La France est privée de 15 à 20 % de ses ressources alimentaires disponibles. Face à cette situation, Vichy instaure le rationnement généralisé le 23 septembre 1940 avec l’institution des cartes d’alimentation dans toute la France. Le 27, les bureaux nationaux de répartition voient le jour. C’est à eux qu’il revient « de fixer les règles concernant l’acquisition, la répartition, le commerce, le stockage et la vente des produits dont ils ont la charge ». Ainsi des groupements d’achat de commerçants sont institués dans chaque département afin d’organiser la collecte et la répartition des produits. Toute relation directe entre producteurs et commerçants devient interdite.

Les catégories de consommateurs

 Le décret du 29 février 1940 qui crée la carte d’alimentation organise aussi le recensement de la population et le classement des citoyens en différentes catégories de consommateurs.

E : enfants de moins de 3 ans

J : jeunes de 3 à 12 ans

A : adultes de 12à 70 ans

T : travailleurs de Force, c'est-à-dire adultes effectuant des travaux pénibles

C : cultivateurs à partir de 12 ans sans limite d’âge

V : vieillards, personnes de plus de 70 ans (ne se livrant pas à la culture de légumes)

Cette première trame évolue et des sous catégories se mettent en place. À titre d’exemple, la catégorie J est divisée en J1 (3 à 6 ans) et J2 (6 à 12 ans) puis en 1941 apparaissent les J3 (13 à 21 ans). Lorsque l’enfant passe de J1 à J2 il ne reçoit plus qu’un quart (0.25 l) de lait par jour.

La seule catégorie à ne pas changer au fil des années de guerre est celle des V. Mais les vieillards concernés ne reçoivent que 200 g de pain par jour ce qui rend leur vie encore plus dure.

Dès avril 1941, le Ravitaillement général distingue deux catégories de consommateurs : ceux de la ville et ceux de la campagne partant du principe que les habitants de la campagne ont un jardin. Cette première distinction est suivie de bien d’autres (Grands centres / province etc.) au point d’arriver à la fin de l’année 1943 à distribuer mensuellement cinquante-quatre types différents de feuilles de « denrées diverses ».

Les queues

Avec l’Occupation et les pénuries qui en découlent, les queues apparaissent devant les magasins et deviennent rapidement un phénomène de société au point qu’en 1942 un élève psychiatre soutient sa thèse de médecine sur la psychopathologie liée au rationnement ! Il décrit entre autres la « tickettose d’angoisse » à savoir la peur panique de perdre ses tickets. En ville, tout le monde fait la queue et tout le monde s’organise en retrouvant les solidarités familiales ou de voisinage. L’administration de Vichy crée la catégorie de personnes prioritaires. Petits et grands arrangements voient le jour. Il existe même des « queutières » des femmes qui en font leur occupation pour sept francs de l’heure. * Ces queues révèlent les incroyables difficultés auxquelles sont confrontés les Français dans leur vie quotidienne.

*1.50 euros de l’heure

Se vêtir au quotidien

A partir du mois d’août 1940 les stocks de tissus font l’objet d’une sérieuse surveillance, la fabrication de luxe est interdite un mois après. La pénurie se niche dans tous les détails et même les caleçons longs sont interdits ! Tout naturellement la carte provisoire de vêtements et de produits textiles apparaît en juin 1941 et devient pérenne à l’été 1942. En plus des points textiles, se met en place un système de point « récupération » : la ménagère peut récupérer 40 points textiles par kilode vêtements de laine non utilisés ou usés. Se vêtir au quotidien devient une prouesse et on fait du neuf avec du vieux. Les vieux pulls sont détricotés, les manteaux sont retournés, les vielles robes sont teintes. L’industrie est appelée à la rescousse et les scientifiques tentent de mettre au point de nouveaux tissus artificiels à partir entre autres de fibre de bois.

Rester élégante

Les revues féminines qui donnent une idée de l’élégance dans un pays où règne la pénurie créent un prisme déformant de la réalité. Il s’agit de faire des miracles avec peu. Cette prouesse est possible car les femmes françaises connaissent le tricot et la couture, ces matières étant enseignées à l’école primaire jusqu’au certificat d’étude. Encore faut-il trouver du tissu pour rester élégante. La teinture, particulièrement utilisée durant ces années, transforme les vieux manteaux en tailleurs chics, les peaux de lapin deviennent une fourrure très prisée ; rien ne se perd. Tous les moyens sont bons pour rester paré, chacun et chacune essaie d’avoir autant que faire se peut une tenue élégante dans son armoire pour « sortir ».

Présentation de la série

Un Village français est une série historique télévisée française composée de sept saisons avec un total de 72 épisodes. Cette série suit la vie des habitants d’une sous- préfecture fictive du Jura et proche de la ligne de démarcation durant toute la Seconde guerre mondiale. Elle relate la vie ordinaire de cette époque dans toute sa complexité, dans toute son ambiguïté et dans toute son incertitude. L’historien Jean-Pierre Azéma en est le conseiller historique : il commente et contextualise les évènements. Tournée en partie dans le Limousin et diffusée à partir du 4 juin 2009 sur France 3 TV, le succès est immédiat. La série est récompensée par le Syndicat français de la critique de cinéma, le festival Séries Mania et les Globes de Cristal 2014. Les audiences s’envolent jusqu’à 4.8 millions de téléspectateurs et la diffusion ne touche pas moins de trente pays dont les Etats-Unis. Cette série est bien plus qu’une série parmi d’autres. Elle devient un objet d’étude qui s’inscrit dans le projet scientifique de l’Agence nationale de la recherche (ANR) associé avec l’Institut de la recherche et de l’innovation (IRI) dans le cadre du programme Epistème en partenariat avec le Club de Médiapart. L’historien Denis Peschanski (CNRS) et le philosophe Bernard Stiegler (IRI) portent le projet. Au cœur de cette réflexion la construction de la perception de l’Histoire aujourd’hui à partir de l’interphase entre un ancien support - la télévision - et l’internet – le nouveau support de transmission qui s’enracine dans le XXIème siècle.

L’importance des costumes

Thierry Delettre est le concepteur et réalisateur des costumes. De la très élégante Jeannine Schwartz (Emmanuelle Bach) à la paysanne Marie Germain (Nade Dieu), la mode s’offre aux yeux des visiteurs dans toute sa composante. L’élégance côtoie sans se mélanger les blouses et les manteaux fonctionnels des femmes des classes populaires.  Les hommes ne sont pas en reste. Les costumes du maire Philippe Chassagne (Philippe Résimont) croisent sans les voir les vestes et les pantalons des ouvriers. Les messieurs qui portent des chapeaux ignorent ceux qui se couvrent d’une casquette. Malgré la pénurie qui règne à cette époque, les conventions sociales sont respectées. Le vêtement est un discours muet qui indique la place de chacun dans la société.

Le costume habille un film, il tisse une peau pour que les acteurs s’y glissent avec aisance. Il donne à voir et à comprendre une époque, quitte à parfois la réinventer ou mieux : la rêver. Il devient le passeur du temps. Thierry Delettre, créateur de costumes pour la série « Un village Français », a pensé, conçu puis fait réaliser les tenues des acteurs. Pour cela, il a dû s’imprégner de la personnalité des personnages, du rôle et de la place de chacun dans la société de Villeneuve. La recherche documentaire est un préalable : retrouver les silhouettes et les tissus, les couleurs et la place des accessoires. En un mot redécouvrir l’atmosphère de ce moment d’histoire, assimiler la documentation venue de sources multiples, la digérer puis l’oublier et recréer la dimension esthétique propre au projet. Et se mettre au service d’un texte et d’un metteur en scène.

Homme de l’art mais aussi homme qui aime l’histoire de l’art, le créateur de costumes est un chef d’orchestre à la tête d’une équipe, plus ou moins importante selon les projets : chef costumier, costumiers, habilleuses et habilleurs… Dans cet univers, travaillent ensemble le chef d’atelier « réalisateur » des costumes, couturiers et couturières, tailleurs, sans oublier les collaborations avec modistes, bottiers, brodeuses, tricoteuses, teinturiers, etc… Pour autant le créateur de costumes n’est pas – seulement - un créateur de vêtements comme on le conçoit dans la mode : Il crée surtout les silhouettes des personnages et participe de ce fait à l’élaboration artistique de l’identité du film. Au cinéma, comme pour la fiction télévisuelle, tous les détails doivent être soignés, et plus que vrais d’un point de vue historique, ils doivent « faire vrai », de façon normale et naturelle : la layette du petit Tequiero est tricotée-main, les chaussettes sont reprisées, les cuirs sont patinés, le père de Daniel Larcher repose dans un lit dont les draps sont brodés. Rien n’échappe à l’œil du créateur de costumes, la rigueur et la liberté d’improviser et d’oser font partie de son ADN pour qu’avant tout le costume soit vêtement.

Jusqu’à aujourd’hui, l’unanimité ne règne pas chez les historiens concernant l’efficacité de ces opérations clandestines. Cependant, bon nombre d’entre eux estiment qu’elles avaient favorisé l’avance des troupes alliées et avaient permis de limiter le coût humain. En les intégrant dans une stratégie d’ensemble, les Alliés reconnaissaient tout l’intérêt que ces forces pouvaient représenter mais sans les surévaluer. D’un autre côté, sans les ressources mises à la disposition des armées de l’ombre par Londres puis Washington, tant en armes qu’en moyens de transmission et en instruction militaire, elles n’auraient eu ni la capacité tactique, ni la combattivité nécessaire.

…Paris Libéré ! Libéré par lui-même, libéré par son peuple, avec le concours des armées de la France, avec l’appui et le concours de la France entière… par ces mots le 25 août 1944 à Paris, devant une foule en liesse, le général de Gaulle balayait d’un revers de main l’aide des Alliés et cette doxa se prolongea jusque dans les années 70. Dès les lendemains de la libération, pour éviter que le rôle des Alliés et des forces spéciales soient oubliés, l’ambassade du Royaume-Uni à Paris demandait une publication pour mettre en lumière l’aide britannique et américaine. De leur côté, bien des hommes des forces spéciales poursuivaient leurs combats clandestins sur d’autres théâtres d’opération. Le silence s’imposait à eux. Quant aux historiens, les archives n’étaient pas accessibles. Enfin, ceux qui publiaient comme Mickael Foot Soe in France (1966) *ils se voyaient interdits de diffusion en France par le Foreign Office qui ne voulait pas froisser le Général de Gaulle : Londres négociait son entrée dans le Marché commun. Oui, les hommes des forces spéciales furent oubliés mais cela ne tient –il à l’essence même de leur mission ? 

Le débarquement en Normandie répondait à une logique militaire : aller au plus vite pour faire tomber le IIIème Reich et l’Allemagne en était l’objectif. Dès le 6 juin une course de vitesse s’engageait entre les belligérants. Les Allemands se devaient d’éviter la consolidation de la tête de pont en Normandie en envoyant le plus possible de renforts. Quant aux Alliés, leur intention était d’empêcher l’envoi sur le front normand des troupes allemandes stationnées dans le Sud. Pour arriver à ces fins, les forces clandestines parachutées sur tout le territoire avaient comme mission de perturber le trafic ferroviaire, d’interrompre les communications, de ralentir les renforts et de déclencher la guérilla. Les actions menées dans le Limousin s’inscrivaient dans cette stratégie globale au même titre que dans d’autres régions françaises.

Les alliés et le pari de la guerre subversive 1940 – 1943

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, les Britanniques manifestèrent un réel intérêt pour la guerre subversive, dont ils avaient mesuré les effets en Afrique du Sud pendant la guerre des Boers ou en Irlande durant la guerre d’indépendance. Ils disposaient également d’un grand savoir-faire en matière d’espionnage, l’Intelligence Service ayant été créé dès 1909. Pour la mener, Churchill décida donc de créer un service Action, le Special Operations Executive (SOE) dès juillet 1940. Les Etats-Unis, en revanche se montraient plus frileux, craignant que l’Etat, par le biais de ses services spéciaux, ne portât atteinte aux droits des citoyens. Il fallut donc attendre 1942 pour voir consacrée la naissance de l’Office of Strategic Services (OSS).

Cette guerre assurément nouvelle favorisa la naissance de nouvelles unités (le Special Air Service (SAS) et les Jedburghs) et l’invention d’un matériel adapté. Jusqu’en 1943 cependant, les résultats n’étaient pas toujours à la hauteur des espérances d’autant que de Gaulle, désireux de contrôler la résistance française, se défiait des initiatives anglo-américaines.

Les précurseurs misent d’emblée sur la guerre subversive 

Sous l’impulsion de Churchill, le Special Operations Executive (SOE) était créé le 19 juillet 1940 afin de coordonner toutes les actions menées à l’étranger  contre l’ennemi par les moyens  de la subversion et du sabotage.  Son objectif : embraser l’Europe. Côté américain, William J. Donovan obtenait le droit de créer l’Office of coordination of Information (COI) en juillet 1941 et recevait le 25 février 1942 l’autorisation d’organiser et de conduire des opérations secrètes subversives dans les zones hostiles avant que le service ne se transforma, le 13 juin 1942, en OSS.

Les moyens nouveaux : des organisations nouvelles

Les Britanniques distinguaient le renseignement, confié au Secret Intelligence Service, de la guerre irrégulière, attribuée au SOE, qui reste un organisme civil dépendant du ministère de la Guerre économique. Les Américains, en revanche, confiaient à l’OSS l’ensemble de ces deux missions. Mais la propagande, étroitement liée à la guerre subversive, dépendait, dans les deux pays, de structures ad hoc, le Political Warfare Executive pour la Grande-Bretagne, l’Office of War Information pour les Etats-Unis. La BBC allait jouer un rôle majeur pendant la Seconde Guerre mondiale, ce qui n’alla pas sans débats : devait-elle d’abord et avant tout informer ou se plier aux dictats de la propagande ?

Des troupes nouvelles : les SAS et les Jedburghs

En 1941, David Stirling, dans les sables du Moyen-Orient, réorganisait des commandos britanniques et créait le Special Air Service. Cette unité non conventionnelle devait lancer des raids éclairs contre les installations ennemies. Le concept des Jedburgh apparut au sein du SOE en mai 1942 : il s’agissait de larguer sur les arrières de l’adversaire des équipes de trois hommes en uniforme pour soutenir les groupes armés et coordonner leurs actions avec celle des troupes au sol dans le cadre des combats de la libération. Le nom de cette bourgade écossaise fut choisi par Churchill, qui estimait qu’un toponyme ne pouvait révéler le sens d’un projet.

Du matériel nouveau

Cette guerre non conventionnelle lançait un défi, aux stratèges comme aux ingénieurs. Il fallait en effet concevoir les actions et imaginer le matériel permettant de les accomplir. L’esprit de création fut sans limite. Furent ainsi conçus des crayons retardateurs à durée variable, des bûches de bois explosives, des grenades aux détonations dignes d’un canon, de multiples combinaisons de sabotage dont le détonateur à pression placé à cheval sur les rails (Fog Signal) et bien d’autres inventions encore…

Les obstacles et les essais infructueux

Pour des raisons de souveraineté nationale, de Gaulle entendait réserver l’exclusivité du sabotage et du renseignement à ses services secrets, le BCRA. Pour les mêmes raisons, les Britanniques voulaient les confier à leurs services, dont la section F du SOE. La coopération entre les deux pays, pourtant, s’imposait. A l’été 1941, le SOE créa donc une section RF, pour collaborer avec la France libre, mais la méfiance persista. Au point de nuire à l’action.  Au début de l’automne 1941, 21 agents du SOE seulement avaient été envoyés et bien des arrestations se produisirent sur le sol français, à Limoges notamment.

Une résistance sous contrôle gaulliste

Pour rationaliser l’action et contrôler la résistance intérieure, de Gaulle favorisa une organisation centralisée et hiérarchique confié à son Délégué, Jean Moulin, et au chef de l’Armée secrète, le général Delestraint. Mais les deux hommes furent arrêtés en juin 1943. De Gaulle dut donc plier et accepter une structure décentralisée que les Britanniques réclamaient de longue date. Des Délégués militaires régionaux (DMR) furent donc envoyés dans chacune des 12 régions militaires créées. Chargés de faciliter la liaison entre la résistance intérieure et le commandement allié, ils dépendaient cependant de l’homme du 18 juin qui pouvait contrôler la résistance intérieure tout en garantissant, grâce au cloisonnement régional, une sécurité optimale.

Le Délégué militaire régional

Le DMR était à la fois un ambassadeur et un technicien, en lien direct avec le BCRA. Chargé de faire appliquer les plans de sabotage conçus dans le cadre du débarquement, il devait aussi aider à armer et à financer les maquis, afin de favoriser une lutte armée destinée à épauler, au soleil de la libération, les troupes anglo-américaines. Il devenait de facto le représentant du pouvoir gaulliste et s’imposait comme un intermédiaire obligé entre les forces clandestines et les Alliés, qui garantissaient son armement à l’armée des ombres.

La mise en place d’une administration

Les Anglo-Américains n’appréciaient guère le général de Gaulle. Mais l’homme du 18 juin parvint à s’imposer au sein du Comité français de libération nationale (CFLN), créé à Alger en juin 1943, dont il évinça son rival, le général Giraud, en novembre de la même année. Seul aux commandes, de Gaulle put alors installer son pouvoir. Il veilla ainsi à placer, dans la nuit de l’occupation, une administration clandestine. Composée de maires, de secrétaires généraux, de préfets et de commissaires régionaux, elle devait, à la libération, éviter la vacance du pouvoir et veiller au rétablissement de la légalité républicaine.

Une résistance matériellement et financièrement dépendante

La vie clandestine avait un coût colossal, puisqu’il fallait rémunérer les permanents et offrir à la Résistance ses moyens d’action. Pour ce faire, l’armée des ombres multiplia les coups de main, pour s’emparer de tickets d’alimentation par exemple. Mais il s’agissait là d’un expédient. La France libre essaya donc d’assumer le financement de la résistance intérieure. En mars 1941, elle signa un accord financier avec le Trésor britannique. Jean Moulin et sa Délégation se chargèrent par la suite de répartir les fonds. A la fin de l’année 1943, priorité fut donnée aux maquis et aux organisations militaires ; mais les mouvements et les réseaux vécurent de bout en bout dans le dénuement. 

De 1943 á la veille du débarquement

Jusqu’en 1943, les états-majors anglo-américains minorèrent le rôle de la résistance intérieure. Ils doutaient de sa valeur combative et de son utilité opérationnelle, et rechignèrent, par conséquent, à l’armer. Les Gaullistes, quant à eux, misaient surtout sur le renseignement et se défiaient de l’insurrection nationale que les communistes appelaient de leurs vœux. Avec la libération de l’Italie, entamée à partir de juillet 1943, les Alliés révisèrent cependant leur appréciation et envisagèrent de coopérer avec l’armée des ombres pour le futur débarquement. Elle devrait épauler les troupes régulières par une série de sabotages, voire de prudentes actions de guérilla. Malgré les difficultés pour obtenir des avions – les bombardements sur l’Allemagne mobilisaient les appareils - Britanniques et Américains créèrent une organisation destinée à rationaliser le parachutage d’hommes et de containers. Des agents furent ainsi envoyés sur le terrain pour soutenir la résistance limousine, repérer des terrains et établir la liaison avec Londres. Des plans de sabotage étaient également expédiés, à charge pour la résistance de les appliquer, le jour venu.

Le schéma anglo-américain

Pour préparer le débarquement – préparation à laquelle les Français ne sont pas associés - le SOE et le BCRA créèrent un Planning Committee chargé d’élaborer les plans qui, au printemps 1943, allaient mobiliser les hommes et les femmes de l’ombre, avant et après le jour J. les Alliés se fixaient quatre objectifs principaux : démoraliser les troupes allemandes, éviter la déportation de la main-d’œuvre vers le Reich, aggraver les problèmes  administratifs de l’Occupant, procéder à une série de sabotage visant principalement les communications de l’ennemi.

Anglo-Américains et résistance intérieure : une coopération nécessaire

Malgré la défiance entre les services, les Alliés et les Français ne pouvaient pas agir sur le terrain sans s’entraider. Les patriotes français brûlaient de s’engager ; et les Anglo-Américains disposaient des moyens nécessaires au combat. Le pragmatisme l’emporta donc, union entre l’aveugle britannique et le paralytique français, pour reprendre la formule du colonel Passy, le chef du BCRA. Ainsi, le 3 avril 1942, BCRA et SOE s’accordèrent pour effectuer le maximum de coups de main contre des objectifs permanents ou transitoires fixés par le SOE. Et à l’été 1942, SOE et OSS négocièrent un accord prévoyant une collaboration loyale.

Les Alliés préparent les largages des containers

Pour remplir les containers et les charger dans les bombardiers, les Alliés s’efforcèrent de créer une organisation rationnelle : des stations de préparation se chargeaient du remplissage, d’autres s’occupaient de l’emballage, d’autres encore apportaient du matériel. En février 1944, le SOE mobilisait 200 hommes pour remplir environ 1000 containers par mois. Rapidement les Britanniques furent confrontés à la pénurie des parachutes car il fallait aussi équiper les troupes aéroportées destinées à sauter sur la Normandie, alors que le seul SOE réclamait 8 000 parachutes par mois en 1943 et 10 000 en 1944. Le salut vint de la puissante Amérique dont l’industrie tournait à plein régime pour soutenir ses alliés.

L’organisation des parachutages 

Succédant au Service des opérations aériennes et maritimes (SOAM) décapité lors de l’arrestation de son chef, à Caluire, avec Jean Moulin, le Centre des opérations de parachutages et d’atterrissages (COPA), en lien direct avec le BCRA, se transforma en juin 1943 en Service des atterrissages et des parachutages (SAP).  S’appuyant sur les réseaux ou les mouvements pour repérer les terrains, sur les maquisards pour récupérer et cacher les armes, les responsables régionaux organisaient les parachutages en recherchant soit les terrains de largage (drop zone) soit des terrains d’atterrissage pour de petits avions assurant les liaisons, les Lysanders (land zone).

Le transport des hommes et du matériel

Jusqu’en 1943, le Bomber Command britannique accorda la priorité au bombardement stratégique sur l’Allemagne qui, aux dires de son chef, avaient plus de chance d’accélérer l’effondrement de la machine de guerre allemande que l’aide à la résistance. Jusqu’en 1942, les sorties des appareils de la RAF réservées au SOE représentèrent moins de 1% du volume global des sorties. Elles passèrent à 2.48 % en 1943 et à 3.3 % en 1944. Une bien maigre augmentation. De fait, le SOE n’eut jamais plus de 120 avions à sa disposition.

Des agents anglo-américains envoyés avant le 6 juin pour soutenir la résistance en Limousin

Après la défaite de 1940, l’Intelligence Service n’eut plus d’agents en France, d’autant qu’elle en avait peu implanté avant-guerre, la France étant considérée comme un pays allié. De son côté, le BCRA disposait, sur le terrain, d’agents, mais avait peu de moyen. En échange de la formation des agents français par Londres, l’IS eut accès aux informations récoltées par le service gaulliste. Longtemps à la remorque de son allié britannique, l’OSS s’efforça également de former ses réseaux. Mais ce sont les services gaullistes qui assumèrent le plus gros de l’effort : en 1945, Donovan précisait au président Roosevelt que le BCRA avait fourni 80 % des renseignements sur lesquels le débarquement de Normandie avait été basé.

Les plans

Au printemps 1943, dans le cadre de la préparation du débarquement, le Planning Committee élabora une série de plans destinés à la résistance intérieure : le plan Vert entendait paralyser le réseau ferré, le plan Bleu visait à neutraliser les lignes électriques, le plan Tortue, devait retarder le déplacement des renforts allemands vers le front normand. A charge pour les DMR de veiller à leur exécution. Responsable de la région R5, Eugène Déchelette s’en acquitta avec brio.

Louis Boyé (1918---) : un bien innocent jeune homme

Officier artilleur, Louis Boyé, prisonnier - évadé, se retrouva à Nîmes en septembre 1940. Ce polytechnicien qui connaissait l’allemand, était ingénieur responsable de la 7ème Région de la SNCF, parfaite couverture pour son activité clandestine. Depuis mai 1943, il appartenait à la résistance Fer et représentait la région limousine au sein des MUR. Comme responsable de l’exécution du plan Vert, il prit de nombreuses photographies et prépara les dessins de repérage en liaison directe avec le DMR. A l’été 1944, son champ d’action s’étendait, outre le Limousin, au Poitou, à la Vendée et à la Loire-Inférieure.

De multiples identités

Pour brouiller les pistes, Louis Boyé disposait de multiples identités. Tour à tour électricien né dans l’Oise (doc 1), dessinateur en 1941 (doc 2), une nouvelle fois électricien en 1942 mais né à Blida en Algérie (doc 3), il se métamorphosa en 1943 en étudiant en droit né à Oran (doc 4). Cette année-là, sa carte de chemin de fer (doc 5) le domiciliait à Paris, ce qui justifiait ses déplacements pour rencontrer ses contacts parisiens clandestins. Enfin, il possédait une carte avec sa véritable identité (doc 6) pour circuler sur le réseau ferré, afin de cartographier et de photographier les lieux, dans le cadre de la préparation et de l’exécution des plans de sabotage.

Le plan vert sur le terrain

Le plan Vert visait à paralyser les déplacements allemands, tant en hommes qu’en matériel, sur le réseau ferré, afin de permettre aux Anglo-Américains de consolider leur tête de pont lors du débarquement. Après avoir reçu les instructions sur le sabotage des installations ferroviaires (doc1), Louis Boyé dessina quatre cartes (doc.2-3-4-) présentant une vue générale du système, pour terminer sur un croquis (doc5) montrant l’ensemble des gares. Cette vision globale se complétait de relevés précis des trains allemands établis au PC de la gare des Bénédictins (doc 6) ainsi que des annonces des passages faites au régulateur par les gares ou les postes (doc7) sans oublier les locaux des dispatching, centre névralgique de la gare (doc 8). Enfin, à partir du plan des voies (doc 9,) Louis Boyé recensa les installations à saboter.

Les actions : du jour j a la libération dans le limousin

À l’été 1944, des équipes de Jedburghs, de SAS et d’agents du SOE furent parachutées dans le Limousin. Ces combattants étaient entrainés pour former et épauler des civils reconvertis en partisans, pour planifier et organiser des sabotages, pour envoyer des renseignements sur des cibles à bombarder par l’aviation alliée, pour transmettre des informations sur les mouvements de troupes ennemis. Les Jedburghs, dont le nombre n’excéda pas 300 pour toute l’Europe, étaient à la fois des soldats, des instructeurs, des chefs de guerre et des négociateurs. Tous avaient suivi une à deux années d’études universitaires avant leur engagement. Ils aidaient à structurer les forces locales sans s’impliquer dans les querelles politiques et s’occupaient de la conquête du terrain, tout en laissant la tenue du territoire aux maquis. Au printemps 1944 les effectifs des SAS représentaient pour leur part une brigade de 2 000 hommes.

Les SAS et les Jedburghs défendaient une approche de la guerre non conventionnelle différente. Les premiers installaient des bases permanentes à partir desquelles ils opéraient derrière les lignes ennemies, les seconds se déplaçaient constamment, tout en multipliant les coups de mains. Leur présence dans le Limousin permit de mieux structurer des maquis comme en Creuse, de recevoir d’importants parachutages d’armement comme en Haute-Vienne et d’engager de violents combats comme à Egletons en Corrèze, voire de participer aux négociations de libérations, comme à Limoges. Au mois de septembre 1944, ils furent décorés, honorés, mais bien vite oubliés.

Des hommes et des femmes en action

Nuit du 6 au 7 juin 1944 : des agents du SOE parachutés à Sussac (Haute-Vienne)

En Haute-Vienne, Philippe Liewer (alias Hamlet, Major Staunton) eut un rôle central dans l’organisation de la libération de la Haute-Vienne. Sa rencontre avec Georges Guingouin fut la rencontre de deux intelligences. Les deux hommes se virent pour la première fois le 25 juin et … He [Guingouin] was very outspoken in his desire to collaborate with me on condition that I had no political motive ; I was just as bold and stated that I was  only interest in winning the war, and that providing, he undertook to attend to all targets which I might designate. I would arm his troops to the best of our ability. After some arguing he excepted the agreement, and from that day he had never failed to execute immediately all orders from London as well as to attend to all targets**. Cette partie sera traduite

** “british” circuits in France” [1945-1946] p. 83 © The National Archives, Kew – Richemond, Londres (GB)

Nuit du 10 au 11 juin : mission Jedburgh James en Corrèze

Parachutées dans la nuit du 10 au 11 juin 1944 avec une équipe de SAS, les forces spéciales furent accueillies près de Bonnefonds, à 20 kilomètres au nord-est d’Egletons, par les membres de la mission interalliée Tilleul et de très nombreux maquisards. Ils établirent leur PC à Chadebec. La mission des trois Jedburghs (les lieutenants John K. Singlaud « Mississipi » J. le Bel de Penguilly « Michigan » et le radio, sergent Anthony J. Denneau « Massachusetts) était double : participer au combat et servir d’officiers de liaison entre les forces existantes. A leur arrivée, bien des actions de sabotage avaient été entreprises et ils trouvèrent des maquis relativement rivaux (AS et FTP) mais bien armés, grâce à la mission Tilleul. Le lieutenant Singlaud décida que son équipe serait plus utile en fournissant des conseils techniques et en dirigeant les troupes engagées.

Nuit du 26/27 juin : mission Bergamote, Creuse 

La mission interalliée Bergamote, avec à sa tête le commandant Jacques Robert, fut parachutée en deux temps, le 27 juin et le 1er juillet 1944 en Creuse sur le terrain « Pension » au lieu-dit Nadapeyrat à quelques kilomètres de Bourganeuf. Bien accueilli à la fois par le DMR, et le responsable FFI François (Albert Fossey), elle coopéra également avec l’équipe britannique commandée par le major Edward. Du 30 juin au 15 juillet 1944, la Creuse fut envahie par les troupes allemandes qui ratissaient la campagne pour détruire, jusque dans les hameaux les plus modestes, les maquis. Le 16 juillet, prêt de Courson, le PC était attaqué à 4 heures du matin alors que s’y trouvaient les hommes de l’opération Bergamote et l’état-major du colonel François. La mission s’évanouit 17 jours dans les bois, pour suggérer qu’elle était détruite.

Nuit du 11/12 juillet : le fiasco de la mission Jedburgh Andy 

Attendus près de Domps à dix kilomètres d’Eymoutiers, les hommes de la mission Andy furent parachutés dans la nuit du 11 au 12 juillet 1944 en même temps que 12 containers et 5 colis, non en Haute-Vienne, mais dans l’Indre. D’emblée, cette mission tourna au fiasco. A l’atterrissage, le major eut une jambe brisée et le commandant un pied estropié. Malgré cela, 48 heures après leur arrivée, ils reçurent un plan d’opération pour la Haute-Vienne comprenant dix objectifs transmis au DMR avec lequel ils étaient entrés en contact. La jed team Andy avait une double mission : aider le DMR Déchelette (Ellpise) à organiser les forces en Haute-Vienne et participer aux sabotages, pour interrompre le trafic ferroviaire dans la région de Limoges ce qui revenait à isoler la ville et la garnison. Grâce à un excellent réseau de complicités, les deux blessés purent rejoindre l’Angleterre le 28 juillet, laissant Loosmore devenir le radio d’Ellipse.

Nuit du 09 au 10 août : mission Jedburgh  Lee  dans la Haute-Vienne

Avec 23 SAS, l’équipe de Jedburgh sauta dans la nuit du 9 au 10 août et se plaça sous les ordres du major Staunton. Elle le rejoignit dans son PC près de la Croizille- sur-Brillance, en Haute-Vienne, dans une zone aux mains des maquis. Le major Staunton confia au capitaine Brown qu’il donnait la priorité à l’armement des FTP. A partir du 12 août, il établissait avec les Jedburghs et Georges Guingouin le plan de la libération de Limoges. Ils décidèrent de bloquer les routes entrant et sortant de la capitale régionale par les maquisards : l’encerclement commençait. De leur côté, les SAS et des saboteurs américains détruisirent le pont de Saint-Léonard et celui de Saint-Germain-les-Belles. Le 18 août les maquisards resserraient l’étau autour de la ville. Deux jours plus tard, Guingouin informa l’équipe que le général Gleiniger souhaitait entamer des pourparlers. Dans l’après-midi du 21, avec Jean d’Albis, membre de la légation suisse, le major Staunton, représentant les Britanniques et le capitaine Brown, représentant des Etats-Unis, le capitaine Guéry, des FTP, et le capitaine Viguier, des FFL, entamèrent les négociations. Elles aboutirent à la reddition de la garnison allemande. Après quelques péripéties, ils ordonnèrent aux FFI d’entrer dans la ville et de la sécuriser.

Nuit du 12-13 août 1944 : mission Jedburgh Alexander dans la Creuse

La mission Alexander fut parachutée près de Saint-Gilles-les-Forêts, en Haute-Vienne, une région entièrement contrôlée par Guingouin. Conduits au PC des maquis, ils rencontrèrent Charles Brown, le major Staunton et des hommes appartenant à un groupe de saboteurs américains. Le 15 août, ils arrivèrent dans la Creuse, dont la campagne était quasiment entre les mains des maquis, à l’exception des villes principales. Leurs instructions de départ leur ordonnaient de se placer sous le commandement du chef de la mission Bergamote, pour organiser et renforcer les maquis, et harceler les troupes ennemies sur toutes les voies de communication. Face à la réalité du terrain, le DMR leur enjoignit de traverser la Corrèze pour soutenir l’AS de Dordogne Nord et coordonner les actions entre les maquis AS et FTP. Ils poursuivirent leur mission sur Cognac, Saintes et Royan.

Nuit du 13 au 14 août : circuit Fireman - mission du lieutenant Morgan de l’OSS, Creuse

Dans le cadre du circuit Fireman, le lieutenant Morgan fut parachuté au cours de la nuit du 13 au14 août dans la région de Fresselines (Creuse). Il fit la connaissance du capitaine Bourdel, chef du maquis communiste, et bénéficia de la complicité de Maurice Thennot , propriétaire de l’hôtel des Touristes situé à Fresselines. Cet officier de l’OSS rencontra de nombreux chefs de maquis, dont le commandant Anne (de son vrai nom Maldant), et donna des séances d’instruction sur l’utilisation des explosifs et le maniement du colt 45. Grâce à l’excellente coopération avec les maquis et la population, il élabora un plan ambitieux pour faire sauter les ponts sur les routes secondaires, en utilisant plus de 15 kg d’explosif. Une importante embuscade fut tendue au Pont-de- la -Farge et empêcha une colonne allemande de rejoindre Montluçon (Allier). L’accrochage fut sévère pour les fuyards qui y perdirent sept camions, sans compter les morts et les blessés. Le 28 août,  trois jours après la libération de Guéret, le lieutenant Morgan reçut l’ordre de se rendre dans l’Indre pour poursuivre le combat.

Des commandos infatigables

Comme les jedburghs, les SAS avaient un entraînement de troupe d’élite. Eux aussi, avaient droit à l’instruction  pour devenir  de parfaits saboteurs (1) d’excellent parachutistes (2) ou d’inépuisables marcheurs (3). Par manque d’avion, ils accompagnaient souvent les équipes de Jedburghs. Entre le 11 juin et le 13 août 1944, la Haute-Vienne, la Creuse et la Corrèze reçurent cinq missions SAS, soit environ moins de 100 hommes, sachant que 56 hommes étaient engagés au cours des opérations en Creuse et en Corrèze dont 7 officiers.

  • 11 juin et du 7 au 8 juin, opération Moses

Le 11 juin 1944, à Azat-le-Ris (Haute-Vienne), un stick de SAS de la mission Moses était parachuté pour rejoindre le département de la Vienne en renfort à la mission Bulbasket anéantie. Il s’agissait pour eux   d’harceler les voies de communication servant de repli sur l’axe Montauban- Brive-Limoges. Dans ce cadre-là, au cours de la nuit du 7 au 8 août, l’aspirant Marc Marchall et le sitck de l’aspirant Roger Decours étaient largués à proximité de Magnac-Laval. Ils rejoignaient très rapidement la forêt de Moulière (Vienne) afin d’exercer leurs talents dans la région de Poitiers puis de Châtellerault.

  • Du 1er au 5 août, l’operational Group Percy Red.

En Haute-Vienne, près d’Eymoutiers, entre le 1er août et le 5 août, 18 saboteurs, tous membres de l’OSS étaient parachutés.  Ils participaient entre autres choses au sabotage du pont à Saint Léonard. Ils avaient pour mission de couper les lignes de communication, d’attaquer les installations vitales de l’ennemis et de fournir des renseignements aux forces alliées sur place. Sur le terrain, ils harcelèrent les troupes allemandes qui remontaient de Bordeaux.

  • Opération Samson : nuit du 9 au 10 août 1944

Le détachement du lieutenant Leblond, avec les sticks du sous-lieutenant Mackie et du sergent Bongeot sautaient près de Sussac sur le terrain Framboise. Accueillis chaleureusement par les maquis, ils prirent contact avec le major Staunton alias Hamlet, responsable de la mission Salesman. Leur embuscade à Salon-la-Tour contre le déplacement d’un train blindé tourna à leur désavantage avec 3 morts dont le capitaine Larson. Le 13 août, à la suite d’informations concernant la venue d’unités allemandes en direction de Limoges, Hamlet et une poignée de SAS faisaient sauter le pont de Saint Léonard et celui de Saint-Germain-les-Belles. Au lendemain de la Limoges le 21 août, le détachement des SAS partaient en direction d’Angoulême puis Le Blanc (Vienne).

  • Opération Marshall : nuit du 10 au 11 août 1944

Le stick de l’aspirant Boyé était largué près de Chadebec au Pré du Loup à Fondfreyde. Attendus par les maquis et  tous les gens du village, ils se retrouvaient à proximité d’une infirmerie installée avec deux médecins  britanniques assistés  de deux infirmières. Sur le terrain, ils montèrent des embuscades longeant l’itinéraire de repli de la colonne Jesser entre Tulle, Ussel et Clermont-Ferrand. Ils jouèrent un rôle essentiel dans la bataille d’Egletons.

  • La bataille d’Egletons 14 août – 19 août

Une colonne allemande en provenant de Sète et disposant d’armes lourdes se dirigeait vers Clermont- Ferrant. Elle s’installait le soir du 3 août à l’Ecole Nationale Professionnelle. . Le capitaine Wauthier, les officiers de la mission Tilleul,et les Jedburghs de la mission James,  après avoir rencontré les responsables FTP et AS, décidaient d’entrer en action. Pour contre balancer la puissance de feu de l’adversaire, les SAS demandaient par radio un parachutage de PIAT et de mortiers ainsi que le bombardement de l’école. Alors que l’attaque était coordonnée par les forces alliées, la rivalité au sein des maquis fut plus forte. Les FTP attaquaient les premiers mais étaient repoussés, leur arment était trop léger, quant aux autres maquisards, ils décrochaient. Les SAS faisaient taire les deux canons d’accompagnement d’infanterie et empêchaient toute sortie. Ils décrochèrent lors de la venue d’une colonne allemande de secours en provenance de Clermont-Ferrand. Elle libérait les assiégés qui quittèrent Égletons le 20 août.

  • Opérations Snelgrove : nuit du 12-13 août 1944

Les sticks du lieutenant Huber, du sous-lieutenant Mora arrivaient près de Royère-de-Vassivière, alors que l’avion de l’aspirant Vi doni, désorienté par des tirs de la flak (probablement autour du barrage d’Eguzon) était parachuté loin de son objectif avec l’équipe Jedburgh en la forêt de Saint-Gilles chez Georges Guingouin. Ils se regroupaient et installaient leur base dans une ferme aux Arces sur la commune de Masbaraud- Mérignat (Creuse). De-là, ils contactaient les hommes de la mission interalliée Bergamotte pour planifier des opérations.

  • La bataille de Bourganeuf : le 22 août 1944

Bourganeuf servait de point de ralliement à l’arrière garde allemande qui refluaient du Sud-Ouest. Les Allemands étaient retranchés dans le lycée de jeunes filles, une solide bâtisse en pierre. Par nuit noire, sous un orage accompagné d’une pluie diluvienne, les SAS lançaient une attaque fulgurante. Coincés entre les grenades Gammon qui leur tombaient dessus et le feu nourrit des FM Bren qui fauchaient les fuyards, les Allemands perdirent beaucoup d’hommes. A la suite de cet évènement sanglant pour eux, ils quittèrent la ville. Les parachutistes se regroupaient et partaient combattre dans l’Indre, conformément aux ordres du DMR.

  • Nuit du 13 au 14 août mission Antagonist

Cette mission était une mission médicale pour soutenir, améliorer la logistique et le système de soins aux blessés. Le capitaine Agee était parachuté sur la DZ Framboise près de la Croisille-sur-Briance. Avec le capitaine Grunseth (opération Percy Red), ils rencontraient le représentant du comité médical du maquis en Haute-Vienne afin d’évaluer les besoins.

Présentation des biographies de quelques figures emblématiques de la Résistance dans le cadre de l’exposition « Les dons sortent des réserves » présentée au musée en 2022.

1940-1944 : des illustrateurs au service de la propagande*

Les bandes dessinées parues au moment de l’offensive allemande de mai 1940, particulièrement celles d’obédience chrétienne (Fleurus, Bonne presse), offraient au jeune lecteur la vision héroïque du soldat luttant jusqu’à la mort pour défendre une position stratégique contre une armée bien supérieure en nombre. La presse communiste restait silencieuse, en raison du pacte Germano-Soviétique du 23 août 1939.

La défaite bouleverse la situation. Les principaux supports de presse (Fleurus, Bonne Presse, Opera Mundi, Fayard...) se réfugient en zone non occupée (Lyon, Limoges, Clermont-Ferrand,  Marseille, Vichy...) tandis que d’autres disparaissent à partir de 1942 avec la pénurie de papier et l’interdiction des bandes américaines. Certains illustrés (Le Téméraire, Le Mérinos...) diffusent les idéaux de la Révolution nationale pour la jeunesse. Les grandes campagnes de propagande officielle dénoncent les réfractaires, promeuvent la Relève et le STO et tentent de décrédibiliser la Résistance intérieure et extérieure. Cette dernière s’organise pour convaincre les Français du bien-fondé de son combat. À son tour, la Résistance utilise la bande dessinée pour faire passer ses idées : à Clermont-Ferrand, le FFI Marijac (alias Jacques Dumas) publie la revue clandestine Le Corbeau déchaîné avec les premiers héros résistants : Les Trois Mousquetaires du maquis. Une véritable guerre de l’image s’engage entre les camps.

*D’après : Traits résistants. La résistance dans la bande dessinée de 1944 à nos jours, sous la direction d’Isabelle Doré-Rivé, directrice du CHRD et de Guy Krivopissko, Lyon, ed. Libel, 2011, 183 p.

1944-1947 : la Libération et la période de la reconstruction*

À la Libération, les Résistances plurielles qui agitèrent la France à partir de 1941 et les conflits politiques qui en découlèrent, s'incarnent dans la presse, en une véritable bataille par illustrés interposés.

Le Gouvernement provisoire confie à un Comité général d’études de la Résistance le contrôle de la presse, considérée collaborationniste. Il place sous séquestre l’ensemble des éditeurs, dans l’attente d’un jugement ou d’un non-lieu, afin « d’obtenir des garanties efficaces contre la corruption des journaux et l’influence du capitalisme dans la presse ». L’Agence France-Presse est créée. Les biens des éditeurs sous séquestre sont confiés à la Société nationale des entreprises de presse (SNEP), créée en 1946, qui les loue aux nouveaux journaux, principalement issus de la presse clandestine. Les éditeurs doivent donc batailler à la fois avec l’État, pour obtenir le droit de parution, le papier nécessaire à l'impression et les subventions, et avec la CGT qui contrôle les imprimeries et la distribution.   

Dès la Libération, la diffusion d’affiches et d’imprimés, de photographies sur les maquis et de la période insurrectionnelle, cristallise pour des décennies l’archétype du résistant. Dans les illustrés pour la jeunesse, un trait particulier permet alors de définir son image : celle du maquisard, fier et courageux, surgissant de l’ombre.

La Reconstruction est la grande période d’évocation des personnages historiques, de la mise en continuité de certains « héros de la Résistance » avec des modèles du passé. Ces mémoires partisanes, reflets des diverses tendances au sein de la Résistance, utilisent chacune leurs propres codes. En 1945, alors que les Trois Mousquetaires du maquis reprennent du service - avec humour - dans le nouvel hebdomadaire Coq Hardi, l’illustré de mouvance catholique Message aux Cœurs Vaillants met en valeur le sentiment patriotique avec l’image d’une France toujours victorieuse à travers l’Histoire.

À la même époque, émerge une figure réaliste de résistant dans l’hebdomadaire Vaillant d’obédience communiste : Fifi, gars du maquis, un héros sacrifié pour la sauvegarde de la patrie. Quelques autres suivront, tantôt réalistes (le Colonel X dans Coq Hardi, Bernard Chamblet dans Wrill, René la Riposte dans Tarzan...) ou humoristiques (Gus et Gaëtan, La Bête est morte..). Passée la période de Reconstruction, peu de résistants vont faire l’objet de bandes dessinées.

*D’après Traits résistants. La résistance dans la bande dessinée de 1944 à nos jours, sous la direction d’Isabelle Doré-Rivé, directrice du CHRD et de Guy Krivopissko, Lyon, ed. Libel, 2011, 183 p.

1947-1955 : la moralisation de la jeunesse*

En dépit d’une baisse significative de l’évocation du sujet dès 1947, les histoires de résistance restent présentes pendant une dizaine d’années dans les « récits complets » et leur descendance bon marché, les petits formats ou pockets. Ces revues sont fréquemment illustrées par des dessinateurs étrangers (italiens, américains ou anglais) qui produisent à la chaîne des récits où les images d’action priment sur le scénario.

Le 7 juillet 1949, suite aux pressions politiques des communistes, la France se dote d'une loi sur les publications destinées à la jeunesse. Le but affiché est de protéger la jeunesse de la BD « démoralisante », supposée responsable de la délinquance juvénile. En réalité, la gauche protectionniste, aidée par une droite catholique pudibonde, veut interdire le retour de la BD américaine, promouvoir la production française communiste et centraliser la production sur Paris où les forces syndicales sont importantes. Leurs cibles : les comics américains et les éditeurs de l’ex-Zone Libre. Les nouvelles thématiques sont les westerns, l’humour, les aventuriers et les sportifs.

*D’après Traits résistants. La résistance dans la bande dessinée de 1944 à nos jours, sous la direction d’Isabelle Doré-Rivé, directrice du CHRD et de Guy Krivopissko, Lyon, ed. Libel, 2011, 183 p.

1955-1970 : le temps des commémorations et des premières rééditions*

Le retour du général de Gaulle au pouvoir en 1958 et sa politique mémorielle réactive dans les médias et dans les esprits les images des principaux acteurs de la guerre. Dans ces années naissent ainsi des bandes dessinées qui relèvent souvent de la commande et se place dans la lignée des images d’Epinal.

 En 1966, le succès des films la Grande vadrouille et de Paris brûle-t-il ?  Ouvre la voie à une série de rééditions de classiques ayant eu du succès à la Libération : celle des Trois Mousquetaires du maquis, de Bernard Chamblet et de La bête est morte ! .

Les pockets poursuivent leurs publications de comics de guerre américains montrant occasionnellement des résistants. Les albums cartonnés se développent massivement à partir des années 1960. Les héros archétypaux sont toujours présents et connaissent un vif succès, comme le Grêlé 7/13 publié dans Vaillant puis Pif de 1966 à 1971. L’apparition de ce héros marque le retour du thème de la Résistance dans les bandes dessinées.

D’après Traits résistants. La résistance dans la bande dessinée de 1944 à nos jours, sous la direction d’Isabelle Doré-Rivé, directrice du CHRD et de Guy Krivopissko, Lyon, ed. Libel, 2011, 183 p.

Des années 1970 au milieu des années 1990 : la construction d’une histoire didactique*

La décennie 70 représente un tournant dans l’histoire de la bande dessinée : le festival d’Angoulême est lancé, son musée des Beaux-Arts rassemble et conserve des planches originales. La bande dessinée, enfin reconnue en tant que 9e Art, s’émancipe : la nouvelle génération d’artistes entre ouvertement en conflit avec celle de ses parents ayant vécu le conflit. Les sujets deviennent plus adultes et contestataires.

 En même temps, les historiens étudient la période de l’Occupation et l’éclaire sous un autre angle. De cette époque date l’émergence de nouvelles mémoires. Cependant, les bandes dessinées traitant toujours de la guerre sont restées très classiques, comme en décalage avec cette évolution historiographique.

Les années 80, avec le développement des musées de la Résistance, consacrent le succès des grandes fresques sur l’histoire de France en bande dessinée. Ces années sont marquées par la remise en cause de la vision d’une Résistance idéale, occasionnant de fortes tensions mémorielles. La bande dessinée continue à être utilisée comme un « outil de transmission ».

D’après Traits résistants. La résistance dans la bande dessinée de 1944 à nos jours, sous la direction d’Isabelle Doré-Rivé, directrice du CHRD et de Guy Krivopissko, Lyon, ed. Libel, 2011, 183 p.

Du milieu des années 1990 à 2000 : la période du renouveau*

En 1990, une nouvelle ère s’ouvre pour la bande dessinée avec l’inauguration du Centre national de la bande dessinée et de l’image à Angoulême. Des historiens, avec des recherches nouvelles, lancent d’autres pistes en matière d’analyse des images du résistant et de ses oppresseurs. Tout cela modifie sensiblement l’image que l’on a de la Résistance et la manière dont on la transmet.

L’évènement qu’a constitué le 50e anniversaire de la Libération a renouvelé l’intérêt que l’on portait au sujet. On assiste au retour de la thématique de la résistance dans les albums de bande dessinée au fil d’approches novatrices, plus sociologiques, réintégrant tous les fronts de lutte et tous les acteurs.

En 1997, Jean-Pierre Gibrat ouvre la voie à de nombreux illustrateurs et scénaristes avec la publication de Sursis qui popularise la période de la Seconde Guerre mondiale auprès d’un large public.

D’après Traits résistants. La résistance dans la bande dessinée de 1944 à nos jours, sous la direction d’Isabelle Doré-Rivé, directrice du CHRD et de Guy Krivopissko, Lyon, ed. Libel, 2011, 183 p.

Du milieu des années 2000 à nos jours : une explosion du sujet, des récits développés sous l’angle de la résistance humanitaire*

Le discours prononcé par le Président Jacques Chirac au mois de juillet 1995 pour commémorer la rafle du Vel’d’Hiv marque un tournant avec la reconnaissance du rôle de l’Etat français dans la politique de collaboration.

Le succès du roman graphique Maus d’Art Spiegelman confirme l’intérêt d’une lecture de la Seconde Guerre mondiale du point de vue des victimes et non plus des combattants. Les créations récentes évoquent de manière quasi systématique la Résistance à travers le prisme du sauvetage.

De nouvelles perspectives s’observent du fait du rapprochement entre le septième et le neuvième arts, salué par la création en 2008 de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image. Aujourd’hui, elle est presque systématiquement traitée selon le procédé du flashback* ou du flash-forward**, dispositif narratif faisant écho à l‘évolution de la mémoire dans les musées de la Seconde Guerre mondiale.
D’après Traits résistants. La résistance dans la bande dessinée de 1944 à nos jours, sous la direction d’Isabelle Doré-Rivé, directrice du CHRD et de Guy Krivopissko, Lyon, ed. Libel, 2011, 183 p.

*flashback : retour sur des évènements passés

**flash-forward : raconter par avance un évènement.

Origine du système concentrationnaire soviétique

La Première Guerre mondiale plonge la Russie dans une crise politique, économique et sociale qui débouche sur la révolution de février 1917 et l’abdication du Tsar. Cette révolution spontanée, qui s’inscrit dans un contexte hautement violent et criminogène, renverse en quatre jours le régime autocratique tsariste et instaure un gouvernement provisoire. Huit mois plus tard, les bolcheviks, conduits par Lénine, prennent le pouvoir par un coup d’État minutieusement préparé. Dès les premières semaines de ce nouveau pouvoir, une police politique, la Tcheka, est mise en place. Des décennies durant, elle est, l’arme principale de la répression, dont la violence trouve ses origines dans la guerre civile opposant plusieurs groupes en lutte (1918-1922).

Durant l’été 1918, le régime instaure des « camps de concentration » où sont internés ceux que les bolcheviks soupçonnent de s’opposer à eux : bourgeois, nobles et hauts fonctionnaires de l’Ancien Régime catalogués comme « ennemis du peuple ». Parallèlement, le nouveau pouvoir organise des « camps de travail correctif » qui doivent remplacer, pour les délinquants et les criminels condamnés par un tribunal, la prison. À la fin de la guerre civile, les « camps de travail correctif » sont provisoirement supprimés. Les détenus regagnent les prisons, à l’exception de ceux que le régime considère comme les plus dangereux et qui sont transférés dans le « camp à destination spéciale des îles Solovki », situées sur un archipel de la mer Blanche, au nord de la Russie. Ce camp va devenir un véritable laboratoire du Goulag où sont mises au point les méthodes qui vont être appliquées à partir de 1930.

Les Solovki, laboratoire du Goulag

Le camp des Solovki, installé en 1923 sur un archipel perdu en mer Blanche et célèbre pour son monastère fondé au XV e siècle, apparaît avec le recul de l’Histoire comme le laboratoire de l’inhumanité. C’est aux Solovki que fut posée l’équation mortifère des camps de travail forcé soviétiques : quantité de nourriture = quantité de travail fourni. C’est aussi aux Solovki que l’administration pénitentiaire utilisa les éléments les plus criminels pour « encadrer » (c’est à dire, dans les faits, martyriser) les autres détenus, notamment les « politiques ». C’est aux Solovki enfin que le régime bolchevique dissimula pour la première fois l’horreur concentrationnaire derrière une façade de propagande, claironnant sa volonté de « rééduquer les criminels et les délinquants par le travail ».

Le « Grand Tournant » stalinien du début des années 1930 et l’expansion du travail forcé

Après la mort de Lénine (1924) et de Dzerjinski (1926), Staline acquiert de plus en plus d’autorité et exerce progressivement un pouvoir absolu et sans partage. Pour mener à bien les objectifs économiques du Premier Plan quinquennal (1928-1933) lancé par Staline, toute la main d’œuvre disponible est nécessaire. Les camps doivent alors assurer la colonisation des régions inhospitalières et la mise en valeur de leurs richesses naturelles grâce au travail des détenus. Très rapidement, le nombre des détenus explose, atteignant 1 million au début de l’année 1937. La collectivisation forcée des campagnes lancée à la fin de l’année 1929, véritable guerre déclarée par l’Etat contre une nation de petits exploitants, se heurte à une très vive résistance paysanne. Des centaines de milliers de paysans sont arrêtés et envoyés dans les camps gérés par l’une des directions de la Guépéou, la police politique, la Direction Principale des Camps connue sous son acronyme GOULAG. Parallèlement au système des camps de travail se développe celui des « villages spéciaux de peuplement » où sont déportés les paysans s’opposant à la collectivisation : les « koulaks ». Entre le camp et le village de peuplement, les frontières sont poreuses, bien que des différences majeures subsistent entre les deux catégories de proscrits. L’immense majorité des 6 millions de personnes déportées, entre 1930 et 1953, avec le statut de « déplacé spécial », le sont à la suite d’une décision policière secrète. Cette décision ne vise pas des individus, mais des catégories arbitrairement construites par le pouvoir : « koulaks », « éléments socialement nuisibles », « éléments nationalistes bourgeois », « ennemis du peuple ». Sont également visés des groupes ethniques tels que les Tchétchènes, les Ingouches ou les Tatars de Crimée.

Dans la première moitié des années 1930, les chantiers pharaoniques exploitant la main d’œuvre déportée se multiplient afin d’extraire et de rentabiliser au maximum les matières disponibles dans les régions inhospitalières :

  • canaux (canal Baltique-Mer Blanche, canal Moscou-Volga).
  • chemins de fer (doublement du Transsibérien à partir d’Irkoutsk).
  • routes (route des ossements de la Kolyma).
  • bois et tourbe (en Sibérie, dans l’Oural et dans les Solovki).
  • mines d’or (Kolyma).
  • mines de charbon (mines du Kouzbass, en Sibérie, mines de Vorkouta, dans le Grand Nord).
  • usines de nickel (à Norilsk, au-delà du Cercle polaire).

Le BBK, canal Baltique-mer Blanche ou canal Staline

Le premier grand chantier du communisme réalisé par les détenus du Goulag est la construction, de 1931 à 1933, du canal reliant la mer Baltique à la mer Blanche, le Belomorkanal. La décision de construire ce canal a été prise en mai 1930 par la plus haute instance du Parti, le Politburo, présidé par Staline. Des centaines d’ingénieurs et de géologues – la plupart condamnés dans le cadre des « purges des spécialistes bourgeois » de la fin des années 1920 – sont mis à contribution dans des « bureaux spéciaux d’étude » dirigés par l’OGPU. Cent vingt mille détenus construisent, dix-huit mois durant, un canal long de deux cent vingt-sept kilomètres avec dix-neuf écluses et soixante-quatre barrages. C’est sur ce chantier qu’apparaît le mot zeka, abréviation de « détenu du canal », bientôt simplifié en zek, terme qui va désigner désormais tous les détenus du Goulag.

L’exploitation d’une main d’œuvre pléthorique supplée à l’emploi de machines et constitue une formidable régression technique, un retour à l’« âge de la brouette », selon les termes de l’écrivain et ancien détenu Varlam Chalamov. Ce chantier emblématique fait l’objet d’une véritable campagne médiatique célébrant la « refonte des criminels par le travail » et porte déjà en lui toute la violence du système du travail forcé :

  • Inhumanité des conditions de vie : douze mille détenus meurent sur le chantier, soit 10% de la main d’œuvre),
  • Pénibilité du travail : tout se fait à mains nues, les seuls outils étant le pic, la pelle, la masse et la brouette,
  • Inutilité du produit livré : pour achever le canal dans les temps, il est construit moins profond et moins large que prévu, si bien qu’il ne peut laisser passer que des navires de faible tirant d’eau,
  • Toufta, terme très répandu dans le vocabulaire goulaguien qui désigne l’absurdité de ce système. Il signifie tout à la fois gâchis, bluff, faux-bilan, malversations.

La Kolyma, « l’enfer blanc »

L’un des plus importants ensembles de camps du Goulag est celui de la Kolyma, immense région au nord-est de la Sibérie où les températures pouvaient descendre l’hiver à moins 50°c. À la fin des années 1920, une expédition géologique y découvre d’importants gisements d’or. Peu après, le Politburo* charge un haut responsable de l’OGPU, Edouard Berzine, d’organiser un vaste complexe de camps qui exploitera l’or de la Kolyma. Cette région est totalement isolée du reste du pays. On n’y accède qu’au terme d’une traversée d’au moins dix jours à partir du port de Vladivostok, lui-même distant de 10 000 kilomètres de Moscou. En février 1932, Berzine débarque avec plusieurs milliers de détenus. La première tâche est d’édifier le port et la ville de Magadan. Les détenus arrivent bientôt par dizaines de milliers pour construire la route de plus de 1 000 kilomètres qui conduit aux gisements aurifères. Des camps sont créés tout le long de cette route. Au bout de trois ans, les détenus extrayaient déjà 14 tonnes d’or par an. À la fin des années 1930, la production d’or dépasse 60 tonnes, plus de la moitié de la production soviétique. Après la Seconde Guerre mondiale, commencent, dans le plus grand secret, l’extraction et l’enrichissement de l’uranium présent en abondance dans la région. Au total, en vingt ans, plus de 900 000 détenus y auront été envoyés, au terme d’un interminable convoiement de plusieurs mois en wagons à bestiaux puis à fond de cale. Entre 150 et 200 000 détenus n’ont pas survécu à « l’enfer blanc ».

*organe politique suprême formé de membres élus du comité central du PC et assure la direction politique du Parti.

Édouard Berzine (1894-1938)

Figure emblématique du Goulag, Edouard Berzine est à la fois un entrepreneur et un bourreau protégé par Moscou. Il est au côté des bolcheviks durant la guerre civile et entre dans la police politique dès 1918. Fin 1931, Staline le nomme à la tête de l’organisme chargé de la mise en valeur des filons aurifères de la Kolyma. En cinq ans, grâce à l’afflux constant de dizaines de milliers de zeks, il multiplie par vingt la production d’or de la région. Arrêté durant les Grandes Purges de 1937-1938 comme « espion polono-japonais », Berzine est exécuté d’une balle dans la nuque dans les caves de la Loubianka au mois d’avril 1938.

La Grande Terreur (1937-1938)

La Grande Terreur de 1937-1938 est le moment paroxystique de la violence du stalinisme. En 16 mois, 750 000 personnes sont condamnées à mort et exécutées en secret ; près d’un million condamné à une peine de 10 ans de camp. On ne peut comprendre cette violence systémique qu’en la replaçant dans le contexte international de l’époque, marqué par la montée des tensions, des conflits (guerre d’Espagne) et par l’imminence d’une nouvelle guerre mondiale, désormais inéluctable. Staline est persuadé qu’il doit « épurer » l’URSS de tous les « éléments socialement nuisibles » et « éthiquement suspects ». Les grandes purges n’épargneront pas les cadres du Parti, bien au contraire.

La Grande Terreur a deux faces :

  • Une face publique, celle des grands procès politiques, dont les plus connus sont les trois procès de Moscou au cours desquels sont jugés, pour des crimes imaginaires, les représentants de la « vieille garde léniniste » : Zinoviev, Kamenev, Radek, Piatakov, Rykov, Boukharine,
  • Une face secrète, celle des « opérations répressives secrètes de masse » mises en œuvre, sur ordre de Staline, par le NKVD dirigé par Nikolai Iejov. Dans ce cadre-là, sont concernés les « ex-koulaks » les membres du clergé, les « gens du passé » (les anciennes élites du régime tsariste), les anciens membres des partis socialistes opposés aux bolcheviks, les citoyens soviétiques d’origine polonaise, allemande, balte et finlandaise soupçonnés d’être des espions.

Chaque région du pays se voit attribuer des quotas « d’éléments à réprimer » en « première catégorie » (peine de mort) ou en « deuxième catégorie » (10 ans de camp). Tandis que 50 000 personnes sont fusillées, dans le plus grand secret, chaque mois entre l’été 1937 et l’automne 1938, les camps du Goulag voient leur population doubler. Fin 1938, le nombre des détenus atteint la barre des deux millions.

Le Goulag durant les années de la Seconde Guerre mondiale

L’expansion territoriale de l’URSS consécutive à l’application des clauses secrètes du pacte germano-soviétique du 23 août 1939 (annexion par l’URSS de la partie orientale de la Pologne dès l’automne 1939, puis annexion des pays baltes et de la Moldavie en 1940) s’accompagne d’une nouvelle vague de répression : plusieurs centaines de milliers de citoyens polonais, baltes et roumains sont arrêtés, envoyés en camp ou déportés. Le Goulag « s’internationalise ».

L’invasion de l’URSS par les troupes de l’Allemagne nazie (22 juin 1941) et la terrible guerre à mort qui s’ensuit entre l’URSS et l’Allemagne ont des conséquences dramatiques sur les conditions de vie des détenus du Goulag. D’une part, les ressources allouées aux détenus et au fonctionnement des camps diminuent drastiquement, d’autre part, les normes (ainsi que les sanctions) augmentent, chaque détenu étant tenu de participer à l’effort de guerre en travaillant toujours plus. La mortalité annuelle au Goulag atteint 20% en 1942 et 1943. Dans le même temps, 600 000 détenus condamnés, de l’aveu même des autorités, pour des « délits insignifiants » sont libérés avant la fin de leur peine et incorporés dans l’armée. Pour autant, la répression sur le « front intérieur » ne se relâche pas : 900 000 personnes sont condamnées, durant la guerre, à de lourdes peines de camp pour « désertion du poste de travail » ou « propagation de rumeurs défaitistes ». À partir de 1943, lorsque l’Armée Rouge reconquiert des territoires occupés, des dizaines de milliers de collaborateurs, réels ou supposés, sont envoyés au Goulag.

  •             Vorkoute : la guillotine glacée

Au début des années 1930, des milliers de zeks sont envoyés au nord du cercle polaire pour mettre en valeur cette région riche en charbon, pétrole, gaz et radium. Les esclaves du Goulag creusent 20 mines de charbon. En hiver, les températures descendent jusqu’à moins 60°c et la nuit arctique dure trois mois. Ce territoire était surnommé par les condamnés « la guillotine glacée ». Dans cet univers dantesque, les détenus créent ex nihilo la ville de Vorkouta, une université, un théâtre et un institut de géologie. À la fin des années 1940, ils sont 150 000 détenus à poser les bases de la future capitale de l’un des plus grands bassins houillers de l’URSS.

  •             La Voie morte

En avril 1947, Staline lance la construction d’une voie ferrée censée relier bien au-delà du cercle polaire l’Oural à la presqu’ile de Tchoukotka, face à l’Alaska. Cette voie traverse sur des milliers de kilomètres des étendues marécageuses vides d’habitants où la température atteint moins 50°c en hiver. Durant six ans, près de 100 000 détenus s’activent. À chaque printemps, du fait de la fonte des neiges, des inondations, leur travail est détruit. Après la mort de Staline, alors que 600 kilomètres de rails ont été posés, le projet est abandonné. C’est la fin de l’exploitation de la main-d’œuvre du Goulag au service des grands chantiers. Cette voie entre dans l’histoire sous le nom de la « Voie morte ».

Apogée et crise du Goulag dans les années d’après-guerre

Les effectifs du Goulag atteignent leur maximum au début des années 1950 avec plus de 2 millions et demi de détenus. Ce doublement entre 1944 et 1950 s’explique par l’arrivée massive de nouveaux contingents :

  • Prisonniers de guerre soviétiques condamnés pour « désertion »,
  • Collaborateurs, réels ou supposés,
  • « Nationalistes »,
  • « Éléments socialement étrangers » des régions soumises à une soviétisation forcée à partir de 1944,
  • « Politiques » arrivés au Goulag après 1945.

Sont également touchés de simples citoyens soviétiques victimes de lois ultra-répressives comme celle du 4 juin 1947 qui sanctionne d’une peine disproportionnée (de cinq à dix, voire vingt ans de camp) tout chapardage, tout petit vol de la « propriété sociale ». La situation se dégrade dans les camps « ordinaires » et dans les « camps spéciaux ». Plusieurs problèmes majeurs apparaissent :

  • Grève.
  • Emeutes.
  • Forte montée de la criminalité.
  • Multiplication des refus collectifs de travail.
  • Forte chute de la productivité du travail forcé.

Confrontée à une croissance exponentielle des effectifs moins aisément malléables que par le passé et à des problèmes croissants d’encadrement et de surveillance, l’administration pléthorique du Goulag (plus de 300 000 gardes, surveillants et personnels administratifs) rencontre de grandes difficultés pour assurer la rentabilité économique :

  • Les infrastructures de production datent.
  • Les gisements les plus facilement exploitables s’épuisent.
  • Des projets insensés, décidés en haut lieu, débouchent sur un formidable gâchis.

Le Goulag à son apogée connaît une crise profonde. Quelques semaines après la mort de Staline, la moitié des détenus – à l’exception notable des « politiques » – est libérée à la suite de l’amnistie du 27 mars 1953. En l’espace de 5 ans – de 1953 à 1958 – les effectifs du Goulag chutent de trois quarts. La libération des « politiques » est obtenue de haute lutte à la suite d’une série de révoltes dans les camps les plus durs (été 1953-été 1954).

L’enfer des zeks

Un pays dans un continent

Comme l’URSS, le Goulag est immense. Ce ne sont pas quelques camps mais des centaines d’ensembles concentrationnaires totalisant chacun plusieurs milliers, parfois plusieurs dizaines de milliers de détenus, implantés, pour la plupart, dans les régions les plus inhospitalières du pays, riches en ressources naturelles, mais vides d’hommes. Les camps sont souvent entourés de « villages de peuplement spécial » où sont assignés à résidence les déportés et nombre d’anciens détenus libérés après l’expiration de leur peine, mais contraints de rester sur place. La Kolyma – une région grande comme deux fois la France, Norilsk, Vorkouta, les grands chantiers pharaoniques des canaux Baltique-Mer Blanche, Moskova-Volga, du BAM (second Transsibérien) constituent les lieux emblématiques du Goulag. Mais les camps, tels des métastases, s’étendent sur tout le continent soviétique : les zones entourées de barbelés apparaissent dans la taïga comme dans les steppes, le long des rivières et des lacs tels que le lac Baïkal, le fleuve Amour, en Sibérie, dans l’Oural ou encore en Carélie, sans oublier les vastes étendus du nord de la Russie et du bassin de la Volga. Jusqu’en Ukraine, au Caucase, au Kamtchatka, au Kazakhstan, où ce n’est plus le froid, mais l’extrême chaleur qui rend la vie des détenus insupportable.

Le travail jusqu’à l’épuisement

Pour l’administration des camps, il est primordial d’« exploiter la force de travail des détenus au maximum de son rendement », comme l’écrit Lavrenti Beria en 1939. Le Goulag est un rouage de l’économie nationale qui pèse lourd. Grâce à la main d’œuvre dont ils disposent, les camps sont les principaux producteurs d’or, de platine, d’argent, de nickel et de radium du pays, et parmi les premiers pour le cuivre, l’étain, le bois et le charbon. Les immenses vagues de détenus qui se succèdent viennent alimenter, dans un continuum meurtrier, la machine productive du Goulag. Le contraste est saisissant entre le gigantisme des chantiers et l’archaïsme des techniques : la pelle, le pic et la pioche sont les outils du détenu, les symboles de sa peine. Son alimentation est fixée en fonction du pourcentage de la norme règlementaire de production remplie. Mais il est vain de courir après elle : en effet, l’affaiblissement de l’organisme n’est jamais compensé par l’hypothétique supplément de nourriture lié à l’accomplissement d’un objectif inatteignable. Alors que le communisme devait mettre à mal l’exploitation par le salaire, le régime stalinien a mis en œuvre une nouvelle forme d’esclavage productiviste. 

La litanie des plaies

Le quotidien du zek est une litanie de plaies et de souffrances : épuisement, froid, faim, violence, vol, racket, délations, humiliations, déshumanisation : La violence la plus extrême régit les rapports à l’intérieur du camp. Les truands, les criminels les plus endurcis font la loi, soutenus par l’administration qui leur a délégué la tâche de faire régner l’ordre et d’écraser toute forme de résistance morale au système du Goulag. L’instrument de perversion et de coercition le plus efficace est la faim, permanente et tenace. La nourriture est l’obsession de tous les zeks : une soupe infâme, une lavasse et quelques centaines de grammes de pain, un pain noir tantôt gonflé d’eau, tantôt dur comme du bois. Outre la faim, le détenu souffre, durant l’interminable hiver sibérien du froid ; pendant le court été, les moustiques pullulent dans la taïga. Et toute l’année, règne une extrême promiscuité dans des baraquements surpeuplés où la « norme règlementaire d’espace » est d’1 m2 par détenu. Le surpeuplement, le manque de vêtements, l’absence d’hygiène, tout concourt à la prolifération du pou porteur de typhus, signe tangible de l’animalisation du zek.

Les femmes et les enfants aussi…

Femmes et enfants font partie intégrante du Goulag. Aux conditions épouvantables subies par les hommes s’ajoute pour les femmes et les enfants leur vulnérabilité. Durant la « Grande Terreur » de 1937-1938, le NKVD arrête les épouses, les concubines et les femmes divorcées des « traîtres à la Patrie » ainsi qu’un grand nombre de leurs enfants de plus de quinze ans considérés comme « socialement dangereux ». Toute femme d’un « traître à la Patrie » écope de 5 à 8 ans de camp. Au début des années 1950, la proportion des femmes au Goulag dépasse les 20%. Des jeunes mères avec leur enfant en bas-âge et des femmes enceintes arrivent au Goulag. Au camp, les femmes perdent leur santé, leur jeunesse, leurs attraits physiques. Soumises à la violence, elles deviennent une marchandise sexuelle. Parce qu’elles ne sont pas maîtresses de leur corps, de nombreuses grossesses non désirées arrivent dans cet enfer. Malgré l’interdiction des relations charnelles, des milliers de bébés naissent dans les camps. Dans cet océan de souffrance, certaines font un choix plus prosaïque : tomber enceinte est un moyen infaillible pour améliorer leur situation : deux mois sans travail, une exemption des travaux les plus pénibles et une ration améliorée. Le temps de l’allaitement, la mère a droit à des pauses et peut donner le sein à son nourrisson sous une escorte armée. Au bout d’un an et demi, elle est séparée définitivement de son enfant. En 1947, plus de 6 000 enfants de moins de 4 ans sur les 15 000 petits pensionnaires des « Maisons de l’enfant » du Goulag meurent.

Un lent massacre dissimulé

Sur les quelque vingt millions de citoyens soviétiques (et un million de citoyens d’autres pays) passés par les camps du Goulag durant un quart de siècle (1929-1956), deux millions ne sont pas revenus. Froid mortel, épidémies de typhus, maladies (tuberculose, pneumonie), suicides, les causes des décès des détenus sont nombreuses. Mais c’est surtout l’association « épuisement dû au travail forcé (douze heures par jour) et « malnutrition qui fait le plus de ravages et conduit les « crevards » vers une mort programmée. Parmi les déportés assignés à résidence dans un des 3000 « villages spéciaux de peuplement » situés souvent à la périphérie des camps, le taux de mortalité, notamment des plus faibles (enfants et vieillards), est encore plus élevé. Plus du quart des six millions de déportés est mort dans les camps. Le Goulag avait comme triple objectif la production, la répression et l’épuration sociale. La mort d’une partie des détenus condamnés à de très longues peines de travail forcé était la conséquence assumée de la logique et de la mécanique inhumaine du Goulag. Fondé sur un impératif économique de production, d’industrialisation et de croissance intenable, le régime bolchevique, loin de réaliser l’utopie liée au fondement de la révolution de 1917, a institué son exact opposé : un système d’exploitation d’une main d’œuvre servile, arbitraire, inégalitaire, une véritable dictature sur le prolétariat.

Le temps des procès et des polémiques

En 1945, le poids du Parti communiste est au zénith dans la vie politique française avec l’engagement des résistants communistes magnifiés. Quant à l’URSS sa participation à la Victoire en fait une championne incontestée des grandes puissances et son projet de société communiste comme l’aboutissement d’un paradis à étendre à toute l’Europe. Bien qu’une cinquantaine d’ouvrages aient été édités avant 1940, aucun n’avait réellement réussi à fracturer l’image de l’Union soviétique. Avec la publication en 1947 de l’ouvrage de Victor Kravchenko J’ai choisi la liberté on entre dans le temps des procès et des polémiques. Le combat est idéologique entre deux choix de société. L’hebdomadaire communiste « Les Lettres françaises » porte le glaive : il s’agit de défendre à la barre « l’honneur de l’Union soviétique ». En 1950, David Rousset, à la tête d’une commission internationale contre le régime concentrationnaire dont celui du régime soviétique, dénonce, preuve à l’appui, le système carcéral de l’URSS. Pour la première fois le terme Goulag est utilisé. L’insurrection de Budapest en Hongrie en 1956 suivie d’une violente répression et les chars russes dans Prague en 1968 ébranlent les consciences. La publication en 1973 de l’Archipel du Goulag par Alexandre Soljenitsyne et son expulsion de Russie jettent un éclairage sans concession sur cet univers. Pourtant, jusque dans les années 1980, deux témoins du Goulag - Varlam Chalamov et Jacques Rossi - ont rencontré des problèmes pour se faire éditer.

La fin du Goulag, mémoire et traces

Le Goulag a profondément marqué la société russe : vingt-cinq millions de Soviétiques (et plus d’un million d’étrangers) sont passés par les camps ou les « villages spéciaux de peuplement » durant l’époque stalinienne (1930-1953). Deux millions sont morts en camp et près de deux millions en déportation. Malgré le poids écrasant de cette réalité, la mémoire du Goulag est quasiment absente du débat public. Les traces matérielles des camps s’estompent ; les survivants des camps disparaissent ; aucune politique mémorielle ou patrimoniale n’a été mise en place par l’État russe. Mis à part les années de la perestroïka et du début de la présidence de Boris Eltsine, durant lesquelles la question des répressions staliniennes est entrée dans le débat public, la mémoire du Goulag est, depuis les années 2000, est reléguée au second plan. Dans la Russie de Vladimir Poutine, on préfère mettre en lumière les pages glorieuses de l’histoire nationale, en premier lieu l’épopée de la Grande Guerre Patriotique de 1941-1945. La face sombre de cette histoire est aujourd’hui largement occultée, même si les autorités ont ouvert récemment à Moscou un musée du Goulag. Celui-ci insiste davantage, il est vrai, sur la contribution du Goulag à l’édification de la puissance du pays grâce au travail et au sacrifice de millions de détenus que sur la tragédie vécue par des millions de citoyens injustement condamnés à de longues peines de camp. Une association non gouvernementale, l’association Mémorial fondée en 1987, œuvre sans relâche pour la préservation de la mémoire des répressions et des réprimés, l’érection de mémoriaux aux victimes et de la juste prise en compte du Goulag dans le « roman national ». Mais elle est bien isolée, voire stigmatisée par les autorités qui voient en elle un « agent de l’étranger ». Le 30 octobre 2017, Vladimir Poutine a inauguré au centre de Moscou le monument « Le mur du chagrin » dédié aux victimes de la répression politique. Deux mois plus tard, il célébrait les bourreaux en assistant au 100e anniversaire de la police politique soviétique (Tchéka, NKVD, KGB). La mémoire du Goulag reste, dans la Russie d’aujourd’hui, une mémoire mutilée.

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